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vendredi 29 mars 2024

Commission de la mémoire franco-québécoise

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Molière

memoires vives

De Québec à l’Amérique française.
Des lieux d’accomplissement de l’héritage de Champlain;
les Actes du colloque de la Commission de septembre 2003

 

de Québec à l'amérique francaiseDepuis sa création en décembre 1996, la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) organise des colloques pour analyser l’état d’avancement des connaissances sur les lieux de mémoire franco-québécois et pour donner des orientations qui méritent d’être explorées. Les communications présentées lors de ces rencontres sont publiées pour en assurer la diffusion la plus large possible.

La publication, De Québec à l’Amérique française. Histoire et mémoire1, fait suite au colloque tenu en septembre 2003, à Québec, au Musée de la civilisation. En 2001, une première rencontre avait été organisée à Poitiers - La Rochelle; elle portait sur le fait français envisagé sous l’angle du point de départ, la France. Lors du deuxième colloque, les participants ont plutôt examiné la question sous l’angle de son accomplissement, de Terre-Neuve à la chaîne des Rocheuses, de la Baie d’Hudson à la Louisiane. Thomas Wien, Cécile Vidal et Yves Frenette ont eu à colliger les textes de 23 des communications qui y avaient été présentées. Thomas Wien est responsable de l’introduction synthèse, dans laquelle il fait ressortir certaines interrogations auxquelles le lecteur pourra trouver réponse en parcourant l’ouvrage.

La présente publication analyse l’Amérique française sous différents angles : les ressources pour l’étudier et la connaître, les images que des hommes de terrain en ont laissé, les recherches et les activités de mise en valeur en cours. Elle constitue à la fois un bilan et une introduction aux grands chantiers en marche.

Des ressources abondantes à exploiter

À compter du deuxième quart du 18e siècle, les sources de première main deviennent mieux organisées et plus accessibles. Les historiens ont ainsi accès à un bassin d’information plus vaste, qui leur permet de délaisser plus facilement les conflits opposant Français, Anglais et Amérindiens et d’étudier le « paisible quotidien des colons français » (Thomas Wien, p. 65 et suivantes). Les sources se diversifient. Par exemple, les recensements nominatifs s’ajoutent aux grandes enquêtes sur l’émigration des Canadiens français – dont les rapports sont publiés par le gouvernement canadien en 1849 et en 1857 – pour permettre de quantifier et de suivre leurs déplacements en territoire américain (Bruno Ramirez, p. 267 et suivantes; Jean Lamarre, p. 283 et suivantes). Couplés à d’autres sources – registres de mariage et bottins téléphoniques –, les recensements permettent encore, par le biais des noms de famille qu’ils renferment, de constituer des balises patronymiques pour suivre le déplacement des familles dans l’espace (Kevin Henry et Sherry Olson, p. 251 et suivantes).

La cartographie contribue à faire avancer les connaissances sur le territoire. Devant les difficultés que présentent les voyages outre-mer, les pionniers, tels Claude Delisle et son fils Guillaume, doivent se contenter du titre de cartographes de cabinet et mettre en forme des données rassemblées à distance par des hommes de terrain non spécialisés dans le domaine, tels les administrateurs, militaires et voyageurs. Ils n’en contribuent pas moins à ébaucher et à rendre plus nets les contours de l’Amérique française (Christian Morissonneau, p. 195 et suivantes; Pierre Ickowicz, p. 317 et suivantes.) Ils pavent la voie à leurs successeurs immédiats et futurs, les géographes culturels du dernier quart du 20e siècle qui pourront se déplacer plus facilement sur le terrain et réaliser des enquêtes avec leurs étudiants (Eric Waddell, p. 227 et suivantes.). De façon à préserver et à assurer une meilleure diffusion de toute cette production, des mécènes s’impliquent : à compter du début des années 1970, David Macdonald Stuart rassemble, au musée qui porte son nom, l’une des plus importantes collections cartographiques, plus de 600 titres (Guy Vadeboncoeur, p. 349 et suivantes).

Les imprimés, enfin, constituent une source d’information irremplaçable pour la connaissance de l’Amérique française et des traces qui en témoignent. Conservateurs d’objets dont ils doivent connaître la nature et la provenance et la communiquer au public, les musées s’engagent dans l’acquisition et la conservation d’ouvrages publiés. Le Musée Stewart rassemble une collection importante de livres rares (Guy Vadeboncoeur, p. 349 et suivantes). Le Château-Musée de Dieppe fait de même en réunissant des publications sur les relations entre la Normandie et la Nouvelle-France. Préparés « sous l’œil normand », ces travaux traitent de sujets aussi divers que « la pêche normande à Terre-Neuve », « les représentations du nouveau monde dans la cartographie dieppoise », « les huguenots cauchois à Québec », etc. (Pierre Ickowicz, p. 317 et suivantes). Prenant conscience des responsabilités à l’égard de la collectivité de langue française en Amérique du Nord que lui avait dictées le 1er Congrès de la langue française tenu en 1912 sur son site, le Séminaire de Québec intègre la bibliothèque ancienne au projet de musée et archives : une collection de « plus de 180 000 livres rares » (Yves Bergeron, p. 357 et suivantes ).

Les points de vue se multiplient. La mémoire collective est étoffée

Au fur et à mesure que la Nouvelle-France s’éloigne, les frontières de l’Amérique française varient, mais les points de vue se multiplient de la part des locuteurs et des scripteurs.Dès le début de l’ouvrage, le lecteur est mis en garde contre les orientations de ceux qui écrivent. Déçu d’un pouvoir politique qui ne lui accorde pas l’avancement militaire désiré, le baron Louis Armand Lahontan prend la plume au début du 18e siècle en ironisant sur tout. Il parsème son récit de détails incongrus, écrivant par exemple à propos de l’attaque de Phips contre Québec : « cette Flote, laquelle par bonheur pour nous, s’amusoit à gober des mouches à deux lieuës de Québec ». Il ne faut pas en conclure pour autant à l’inutilité de l’écrit (Réal Ouellet, p. 29 et suivantes ). Plus près de nous, en 1924, le choix de l’année 1624 – plutôt que 1626 –, pour marquer le tricentenaire de la fondation de New York, s’explique par le prosélytisme de deux auteurs, Louis Effingham de Forest, l’un des descendants de Jesse de Forest, et Charles-N. Peltrisot, ancien maire du chef-lieu d’Avesnes-sur-Helpe; le premier veut perpétuer le souvenir de son héroïque ancêtre et des Huguenots-Wallons, le deuxième tente d’attirer les touristes new-yorkais – le fondateur de la ville de New-York serait né à Avesnes-sur-Helpe – (Caroline-Isabelle Caron, p. 175 et suivantes). Dans ce cas-ci, il faut tenir compte des objectifs poursuivis par les deux auteurs.

Sans aller aussi loin que les exemples ci-dessus, d’autres images de l’Amérique française, comportant des variantes, circulent au 19e et au 20e siècle. À Montréal, dans les années 1850, l’évêque du diocèse, Mgr Ignace Bourget, fait de la Nouvelle-France catholique et française le fondement de cette Amérique qui doit préserver l’héritage reçu et le transmettre intact aux générations futures : « il ne s’agit plus seulement d’un âge d’or remarquable et révolu… mais aussi, et surtout, de la source fondatrice d’une collectivité dotée de caractéristiques culturelles particulières et qui survit depuis lors » (Ollivier Hubert, p. 49 et suivantes). De l’autre côté de la frontière, en Nouvelle-Angleterre, au tournant des années 1920, certains penseurs ne peuvent rester indifférents à l’assimilation progressive de leurs compatriotes et à la nécessité pour eux de s’intégrer à la société américaine. Plutôt que rester fidèles à la devise « la langue gardienne de la foi », ils proposent l’introduction de l’anglais à l’église paroissiale et un meilleur apprentissage de cette langue à l’école – certains suggérant même l’enseignement du français comme langue seconde –, en somme « un archipel » de race française – distinguer de la langue – et de religion catholique (Yves Roby, p. 157 et suivantes ).

Au Québec, à compter des années 1830, sans abandonner les frontières traditionnelles de l’Amérique française, d’autres penseurs et homme d’action proposent plutôt leur extension vers le Nord. Alexis de Tocqueville, Edme Rameau de Saint-Père, Étienne Parent et le curé Antoine Labelle entrevoient les dangers que fait courir l’émigration massive aux États-Unis. Pour préserver leurs traits distinctifs, les Canadiens français doivent investir des territoires vierges, non encore occupés par les Anglais (Christian Morissonneau, p. 195 et suivantes). De son côté, l’historien et prêtre engagé, Lionel Groulx, se démarque de ses prédécesseurs, non pas tant par sa conception continentale de l’Amérique française, une Amérique de langue française et de religion catholique, que par l’accent mis sur certaines valeurs : la mission confiée à ses compatriotes par la Providence et leurs responsabilités à l’égard des minorités; l’importance de celles-ci comme points d’ancrage du fait catholique et français à l’extérieur du Québec (Michel Bock, p. 209 et suivantes).

Comme toutes les autres sciences, l’histoire s’est beaucoup développée. L’approche a changé depuis les « pages blanches » de la période de paix 1713-1744, pour laquelle les historiens trouvaient peu à dire (Thomas Wien, p. 66). L’étude des côtés économique et social de l’Amérique française s’accentue. À compter du milieu des années 1990, le Québec est abandonné comme seul point principal d’observation de l’Amérique française. Face à la vallée du Saint-Laurent et à la Louisiane, le Pays-d’en-Haut et la Haute-Louisiane ne sont plus considérés seulement comme des territoires de passage. Les historiens scrutent d’une façon plus pénétrante leur économie et leur société en faisant appel aux archives notariales et judiciaires locales. Ils étudient les liens commerciaux entre ces collectivités, remettant même en cause le rôle prétendument effacé de l’État français – par exemple « la mise en place par la Compagnie des Indes, puis l’État, d’un système régulier de convois entre Kaskaskia et La Nouvelle-Orléans » (Cécile Vidal, p. 130). Ils effectuent des comparaisons entre les comportements des sociétés cosmopolites – de souches française, autochtone, allochtone – dont se compose l’Amérique française dans sa dimension continentale (Amérique du Nord) et insulaire (Antilles) (Gilles Havard, p. 95 et suivantes; Cécile Vidal, p. 125 et suivantes; Paul Lachance, p. 139 et suivantes ).

Les musées prennent la place qui leur revient

L’ouvrage mentionne l’apport indispensable des musées québécois et français à la mémoire commune. Pour le côté français, Pierre Ickowicz, conservateur en chef du Château-Musée de Dieppe, nous entretient de la qualité du témoignage des découvertes archéologiques, prenant comme exemple le cas de gourdes sphériques identiques à celles trouvées dans l’habitation de Champlain et produites dans l’arrière-pays dieppois (p. 319 et suivantes). Dans une liste placée en annexe de son texte, Pascal Mongne ne dénombre pas moins de 40 musées français qui conservent des objets à caractère archéologique et ethnographique provenant de la Nouvelle-France (Pascal Mongne, p. 331 et suivantes). De ce côté-ci de l’Atlantique, les conservateurs réservent pour leur musée, dans le contenu de cette publication, une place qui se démarque; c’est le cas de Pointe-à-Callière, musée d’histoire et d’archéologie de Montréal (Francine Lelièvre, p. 301 et suivantes), le Musée canadien des civilisations (Jean-Pierre Hardy, p. 307 et suivantes ), le Musée Stewart (Guy Vadeboncoeur, p. 349 et suivantes ), le Musée de l’Amérique française – celui-ci est créé dans les années 1990, mais il prend naissance en 1806 dans les murs du Séminaire de Québec – (Yves Bergeron, p. 357 et suivantes ).

Les musées québécois se signalent tant par la quantité et la qualité des objets conservés que par leur programme de diffusion. Le Musée Stewart assure, entre autres, la mise en valeur d’une collection de plus de 2 500 ustensiles d’âtre, de cuisine et d’éclairage et de plus de 3 000 armes à feu et armes blanches (Guy Vadeboncoeur, p. 349 et suivantes ). Yves Bergeron souligne, à propos de la publication en 1996 de l’inventaire des 120 000 objets du musée sous le titre Trésors d’Amérique française, que l’ouvrage ne met plus en doute l’intérêt des collections (Yves Bergeron, p. 357 et suivantes ). Côté diffusion, les musées font rayonner le fait français dans toutes ses dimensions, autant économique et sociale que politique, en travaillant en collaboration, soit pour le prêt d’objets, soit pour le montage et la circulation des expositions (Francine Lelièvre, p. 301 et suivantes ; Jean-Pierre Hardy, p. 307 et suivantes ; Guy Vadeboncoeur, p. 349 et suivantes ).

Des projets à signaler, l’un en chantier, l’autre dont les bases sont jetées

Historiens, archivistes et muséologues ont beaucoup contribué à diffuser des connaissances et à entretenir le souvenir de la France et de l’Amérique française. Le travail n’est pas terminé pour autant, il se poursuit toujours.

À l’initiative de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, deux groupes de travail ont été à l’œuvre depuis 2001, l’un en France, l’autre de ce côté-ci de l’Atlantique, pour inventorier et mettre en contexte les bâtiments, monuments, plaques, etc., qui relient le Québec et plus largement l’Amérique à la France (Samantha Rompillon et Alain Roy, p. 371 et suivantes ; Aline Carpentier et Elsa Guerry, p. 375 et suivantes ; Samantha Rompillon, Dominique Malack, Peter Gagné et Laurent Richard, p. 387 et suivantes ). Le projet est soutenu par les gouvernements français et québécois de même que par les universités Laval, de La Rochelle et de Poitiers. Du côté français, il est terminé pour la Région Poitou-Charentes, mais des extensions sont prévues pour d’autres régions rattachées à la côte atlantique française. Du côté Amérique, il se poursuit actuellement au Québec de même qu’en Acadie, en Ontario, et dans les provinces des Prairies. Éventuellement, le territoire des États-Unis sera au programme. Les renseignements recueillis sont versés dans une base de données commune au Québec et à la France. Des sous-produits du travail réalisé sont prévus, par exemple la production et la publication d’un atlas historique. Déjà, l’inventaire promet beaucoup pour enrichir et stimuler la mémoire franco-québécoise : en faisant revivre des lieux oubliés, en permettant « de suivre l’itinéraire d’un migrant, de retracer des circuits commerciaux ou tout simplement de constater l’existence d’un ensemble historique lié par bien des événements » (Samantha Rompillon et Alain Roy, p. 374).

Les musées français qui conservent des artefacts ou des objets muséologiques touchant la Nouvelle-France envisagent d’adopter une démarche semblable. Déjà, la première étape est franchie; les musées détenteurs d’objets relatifs à la Nouvelle-France sont identifiés (Pascal Mongne, p. 331 et suivantes). Reste maintenant à étudier chaque objet, à déterminer sa nature et le matériau dont il est construit de même qu’à établir sa provenance, notamment les circonstances qui ont provoqué sa traversée de l’Atlantique. Par la suite, les données seront entrées dans une base informatique et mises en ligne aux fins de diffusion.
L’ « ultime maillon de la chaîne de découverte et d’étude : le public » ne doit jamais être oublié (Pascal Mongne, p. 340).

De Québec à l’Amérique française. Histoire et mémoire. Textes choisis du deuxième colloque de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, sous la direction de Thomas Wien, Cécile Vidal et Yves Frenette, Québec, Les Presses de l’Université Laval, 2006, 403 p.

Gilles Durand

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