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vendredi 29 mars 2024

Commission de la mémoire franco-québécoise

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Molière

Brève histoire du Québec

Par Éric Thierry,
docteur de l'Université de Paris-Sorbonne, historien et professeur d'histoire et de géographie au Lycée Paul-Claudel (France)


Contrée du Nouveau Monde, le Québec est, depuis longtemps, une terre de rencontres, plus ou moins conflictuelles, d'abord entre les Amérindiens et les Français, au temps de la Nouvelle-France, puis entre les Canadiens français et les Anglo-Saxons, à partir de la conquête britannique entérinée par le traité de Paris de 1763.

Le Québec au temps de la Nouvelle-France

Les premiers habitants du Québec sont les Amérindiens. Les plus vieilles traces de leur présence dans la vallée du Saint-Laurent remontent à environ 11 000 ans. Il s'agit de chasseurs, provenant d'Alaska et du Yukon, qui pourchassent des troupeaux de caribous et d'autres grands cervidés. Au XVIe siècle, la présence autochtone au Québec se limite à trois groupes : les Inuits dans le Labrador et le Grand Nord, les Iroquoiens, qui vivent d'abord dans les régions de Québec et de Montréal, puis plus au sud et à l'ouest, dans la région des Grands Lacs, et les Algonquiens, qui occupent le golfe du Saint-Laurent, avant de remplacer les Iroquoiens sur l'axe laurentien. Tandis que les Iroquoiens sont des sédentaires qui pratiquent l'agriculture, les Inuits et les Algonquiens sont des nomades qui vivent de pêche, de chasse et de la cueillette de fruits sauvages.


Le début du XVIe siècle marque le commencement des contacts réguliers entre ces Amérindiens et des Européens, parmi lesquels se trouvent beaucoup de Français. Ceux-ci viennent pour pêcher la morue et chasser la baleine, et de plus en plus, à partir des années 1570, pour échanger avec les Amérindiens des peaux de castors contre des chaudrons en cuivre, des haches et des couteaux, des épées, de la mercerie ou de la verroterie. Il faut dire qu'en Europe occidentale, la mode des chapeaux en feutre de castor bat son plein.


Le Malouin Jacques Cartier a tenté de fonder une colonie près de Québec, d'abord en 1535 et 1536, puis en 1541 et 1542, mais en vain. Il faut attendre près de soixante ans, et la fin des guerres de Religion en France, pour voir des Français récidiver, grâce au soutien actif de marchands normands. Des établissements permanents sont fondés dans la vallée du Saint-Laurent pour y entasser des fourrures pendant l'hiver et pouvoir les expédier en France durant la belle saison. Un premier voit le jour à Tadoussac pendant l'été 1600. Il est créé par le Honfleurais Pierre Chauvin, sieur de Tonnetuit, mais doit être abandonné dès l'hiver 1600-1601, à cause de l'insuffisance du ravitaillement laissé là et des bagarres entre les colons. Un deuxième connaît plus de succès puisqu'il est à l'origine de la ville actuelle de Québec. Il est fondé par le Saintongeais Samuel de Champlain en juillet 1608.


À la même période, dans la France d'Henri IV et de Louis XIII, la réforme catholique née du concile de Trente prend son essor. Convaincus de l'imminence de la fin du monde, les réformateurs de l'Église romaine veulent convertir toute la terre pour obtenir leur propre rédemption lors du Jugement dernier. L'été 1615 voit l'arrivée des premiers missionnaires, des récollets, et la célébration d'une première messe, le 24 juin, au bord de la rivière des Prairies, sur l'île de Montréal. Un des concélébrants est le Père Joseph Le Caron. Issu d'une dynastie de valets de chambre du roi et lui-même intime de la famille de Louis XIII, il n'a qu'une hâte, celle d'aller évangéliser les Hurons, des Iroquoiens vivant au bord de la baie Georgienne, dans la région des Grands Lacs. Il est le premier missionnaire en Huronie où il reste un an.


En 1625, les récollets sont rejoints par des jésuites, mais les seconds finissent par écarter les premiers de la vallée du Saint-Laurent et de la Huronie. Missionnaires, ethnologues, linguistes, explorateurs et cartographes, comme le Père Jacques Marquette qui découvre le Mississippi avec le laïc Louis Jolliet en 1673, les jésuites sont aussi de très habiles promoteurs de leurs entreprises, par le biais de leurs Relations qu'ils rédigent et diffusent en France auprès des milieux dévots.


Une lectrice assidue est Marie Guyart, une mère de famille installée à Tours. Elle attend que son fils atteigne l'âge de douze ans pour entrer chez les ursulines. Devenue Marie de l'Incarnation, elle part pour Québec en 1639, afin de se consacrer à la conversion et à l'éducation des jeunes Amérindiennes. Son couvent se dresse encore aujourd'hui dans la capitale québécoise où il continue à recevoir des élèves.


D'autres lecteurs enthousiastes des Relations jésuites sont les membres de la Société Notre-Dame « pour la conversion des Sauvages de la Nouvelle-France » créée à Paris en 1639. Deux d'entre eux fondent Montréal le 17 mai 1642. Il s'agit de deux Champenois, le gentilhomme Paul Chomedey de Maisonneuve, qui devient le premier gouverneur de la ville, et la laïque Jeanne Mance, qui crée le premier hôtel-Dieu de Montréal. Les épreuves ne leur sont pas épargnées, car ils doivent faire face aux attaques des Iroquois, une ligue de nations iroquoiennes qui a vidé la Huronie de sa population avant de s'en prendre à la vallée du Saint-Laurent.


La culture des terres devient impossible et le commerce des fourrures se retrouve paralysé. Confronté à l'impuissance des marchands de la compagnie des Cent-Associés, la propriétaire de la colonie, le roi de France Louis XIV se résout à prendre les choses en main. En 1663, il transforme la Nouvelle-France en colonie royale administrée par un gouverneur, un intendant et un Conseil souverain. Puis, il envoie le régiment de Carignan-Salières pour mater les Iroquois. Au même moment, l'Église est réorganisée par François de Laval, vicaire apostolique de la Nouvelle-France de 1658 à 1674, puis premier évêque de Québec, de 1674 à 1688. C'est lui qui crée, en 1663, le séminaire de Québec. Malgré les succès mitigés de son action missionnaire, l'Église se retrouve en mesure de bien encadrer les colons, à l'exception des coureurs des bois qui vont chez les Amérindiens pour chercher des fourrures.


Le règne de Louis XIV permet une augmentation significative de la population de la colonie, avec en particulier l'arrivée de filles à marier appelées « filles du roi », mais l'écart entre le nombre d'habitants de la vallée du Saint-Laurent et celui des possessions anglaises d'Amérique du Nord ne cesse de grossir. Ainsi, en 1750, tandis que la vallée du Saint-Laurent a une population de 58 100 âmes, celle des treize colonies britanniques en compte déjà 1,2 million. Comme les guerres franco-anglaises du continent européen se prolongent en Amérique du Nord, le déséquilibre finit par devenir dramatique et la guerre de Sept-Ans est fatale à la Nouvelle-France : le 10 février 1763, en signant le traité de Paris, la France cède celle-ci à l'Angleterre.

Le Québec dans une Amérique anglo-saxonne

Le gouvernement de Londres veut angliciser les habitants de la vallée du Saint-Laurent, mais la guerre d'indépendance des États-Unis d'Amérique, qui dure de 1775 à 1783, l'oblige à composer. Il lui faut à tout prix empêcher la province de Québec de se joindre au soulèvement des colonies du Sud et continuer à l'utiliser comme base d'opérations militaires pour réprimer les Insurgents. Aussi fait-il des concessions aux élites françaises, le clergé et l'aristocratie seigneuriale, afin de mieux contrôler le reste de la population. Comme l'Acte de Québec de 1774 n'est pas suffisant, il accorde l'Acte constitutionnel de 1791 : séparé du Haut-Canada, qui correspond à l'Ontario actuel, le Bas-Canada, où vivent la plupart des francophones, conserve ses lois françaises et peut disposer d'un gouvernement théoriquement indépendant.


Face à l'autoritarisme de Londres, les patriotes de Louis-Joseph Papineau finissent par se révolter en 1837 et 1838, mais la répression britannique s'abat sur les Canadiens français et l'Acte d'Union de 1840 réunit le Haut et le Bas-Canada en une seule colonie qui s'appelle le Canada-Uni et dont l'unique langue officielle est, pendant huit ans, l'anglais. L'Église n'a pas soutenu les patriotes, conformément à l'encyclique du pape Grégoire XVI qui, en août 1832, a condamné les idées libérales animant les mouvements de libération irlandais et polonais. Elle se rapproche du parti de Louis-Hippolyte Lafontaine, qui arrive au pouvoir en 1848 et obtient un « gouvernement responsable », et ne cesse ensuite de soutenir les conservateurs qui en sont les héritiers. Comme eux, elle soutient la création de la Confédération canadienne en 1867 et profite d'un réveil religieux et de l'arrivée massive d'Irlandais catholiques, dès les années 1840, pour accroître son influence.


Ignace Bourget, évêque de Montréal de 1840 à 1876, se rend en France pour recruter des clercs qui viendront au Québec encadrer les fidèles. Des oblats de Marie-Immaculée débarquent en septembre 1841. Ils organisent des retraites dans les paroisses, s'installent à Longueil, puis s'implantent à Ottawa où ils créent une université. Les jésuites sont de retour en 1842 et excellent vite dans l'éducation des élites. On leur doit notamment les fondations, à Montréal, des collèges Sainte-Marie et Brébeuf – un jésuite missionnaire chez les Hurons qui a été martyrisé par les Iroquois en 1649. Les Dames du Sacré-Cœur et les religieuses du Bon-Secours envoient des représentantes en 1842 et 1844. Les premières se vouent à la formation des religieuses, alors que les secondes se consacrent surtout aux orphelines.


Monseigneur Bourget soutient aussi des Canadiennes françaises qui sont des femmes d'exception. C'est le cas d'Émilie Gamelin. Veuve à 27 ans, après avoir vu mourir ses trois enfants, elle fonde les sœurs de la Providence qui se consacrent aux plus démunis, et en particulier aux malades mentaux. Une autre Canadienne française d'exception est Esther Blondin. En 1848, elle fonde une communauté d'enseignantes pour filles, les sœurs de Sainte-Anne. En quarante ans de vie religieuse, elle n'a gouvernée sa congrégation que quatre ans, mise à l'écart par son chapelain, son évêque et certaines de ses sœurs, mais il n'en reste pas moins que son œuvre est colossale.
En même temps, le Québec se modernise, grâce à l'émergence de riches capitalistes, le plus souvent anglais, à Montréal. Des lignes de chemin de fer sont construites. Des chantiers navals sont installés à Québec. Dans les campagnes de la vallée du Saint-Laurent, le régime seigneurial hérité de la Nouvelle-France est aboli en 1854, afin de favoriser le développement de l'agriculture. La modernisation économique s'accompagne d'une modernisation sociale, avec de nouvelles institutions municipales et, en 1846, l'instauration des commissions scolaires organisées par chaque communauté sur des bases religieuses. De plus, le Québec ne peut plus se satisfaire de la coutume de Paris et, en 1866, se dote d'un code civil inspiré du code napoléonien.


Le début du XXe siècle est marqué par le refus de la conscription militaire, en 1917, et par le chômage, la baisse de la natalité, l'urbanisation de la société et un début de remise en cause de l'influence de l'Église, dans les années 1930. La comparaison avec l'Ontario plus prospère conduit à souhaiter, pour le Québec, une modernisation sociale et économique, voire politique. Adélard Godbout, premier ministre libéral du Québec de 1939 à 1944, engage des réformes importantes, comme le droit de vote des femmes en 1940, l'école obligatoire jusqu'à quatorze ans en 1943 et la création d'Hydro-Québec, société d'État d'électricité, en 1944, mais c'est surtout la « Révolution tranquille » des années 1960 et 1970 qui change profondément la société québécoise, avec les gouvernements libéral de Jean Lesage et péquiste de René Lévesque. En 1964, un ministère de l'Éducation nationale est créé, qui confie l'enseignement à des laïcs et non plus à l'Église, et, en 1977, le français devient la langue usuelle de travail dans les services publics, les affaires et le commerce.


La souveraineté du Québec devient alors un sujet brûlant de débat, comme le montre l'accueil réservé au « Vive le Québec libre ! » lancé par le général de Gaulle du haut du balcon de l'hôtel de ville de Montréal en 1967. En 1980, René Lévesque organise un référendum, mais une majorité de Québécois rejette l'indépendance.  L'expérience est renouvelée en 1995 par Jacques Parizeau, nouveau chef du Parti québécois devenu premier ministre, mais, à nouveau, c'est le non qui l'emporte. Malgré sa forte identité, le Québec ne veut pas trop s'éloigner de l'Amérique anglo-saxonne.

Cet article a été publié dans l'hebdomadaire France catholique le 17 juin 2016.

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