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Le côté
plus caché de l’aventure française en
Amérique du Nord
La localisation des familles dans l’espace
Sous le signe du partenariat et de la continuité des
sources
Colloque du 18 novembre 2006
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Dans le cadre de son 45e anniversaire
de fondation, la Société de généalogie
de Québec a organisé une journée d’études
pour aider les généalogistes à découvrir
une facette, parfois obscure, de leur famille ancestrale, sa
localisation dans l’espace à différents
moments de son histoire. Sous le titre « Espaces et familles
», la journée a
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Mission accomplie. De gauche à
droite, Alain Laberge, Marc St-Hilaire et Rénald
Lessard.
Crédit photo |
surtout été consacrée au mode de peuplement
de la vallée du Saint-Laurent. Compte tenu de la complexité
du sujet qui n’est pas étrangère à
la longue période à l’étude, plus
de quatre siècles, la Société de généalogie
a fait appel au partenariat : à ses propres membres
pour organiser la journée, de même qu’à
quatre organismes pour le contenu à livrer, soit l’Université
Laval, Bibliothèque et Archives nationales du Québec,
la Commission de toponymie et le Service gouvernemental de l’enregistrement
foncier auxquels s’est jointe une géographe. La
journée a été divisée en deux, la
matinée étant consacrée à la période
pré-industrielle, et l’après-midi aux années
postérieures à 1850. Les moyens retenus furent
la conférence présentant une mise en contexte
globale du territoire pour la période concernée,
suivie par des présentations en ateliers portant principalement
sur la documentation originale disponible. L’atelier a
été jugé une formule intéressante
pour permettre aux participants de s’exprimer. La journée
d’études se termina par une plénière,
en même temps une occasion de souligner une publication
d’un chercheur qui s’est démarqué
par un apport soutenu à la diffusion de connaissances
sur les vieilles familles du Québec.
Espaces et familles avant 1850
Alain Laberge débute la journée par une conférence
présentant la complexité des situations et des
défis que doivent relever les généalogistes
pour la période pré-industrielle. La vallée
du Saint-Laurent, déjà un long couloir entre la
capitale et la future métropole, ne doit pas être
envisagée isolément. La population initiale déborde
dans l’arrière-pays et le long des principaux affluents
du fleuve, le Richelieu, la Chaudière et d’autres
affluents secondaires comme les rivières Batiscan et
Sainte-Anne. Les familles entretiennent des liens en amont,
avec les Pays d’en haut pour la traite des fourrures et
avec la Louisiane, en aval avec l’Acadie et même
outre-Atlantique avec la France, dans ce dernier cas pour retourner
dans la mère-patrie après une brève expérience
en sol laurentien. La dénomination des lieux n’est
pas non plus toujours facile à apprivoiser, les toponymes
pouvant référer à des réalités
très diverses, un accident géographique, le nom
d’un premier arrivant ou d’un bâtisseur, etc.
Les intervenants sur le territoire sont nombreux. Les compagnies
de commerce au tout début, par la suite l’intendant
qui concède des seigneuries avec l’approbation
subséquente du roi et l’enregistrement de sa volonté
au Conseil souverain. Les seigneurs développent leur
seigneurie avec tout ce que cela implique de concession de lopins
à des censitaires, de mise en place d’infrastructure
comme le moulin banal, ou bien encore de concession de partie
plus ou moins grande de la seigneurie à un détenteur
d’arrière-fief qui jouera à l’égard
de celui-ci le rôle du seigneur. Le grand voyer intervient
aussi pour faire ouvrir des chemins au fur et à mesure
que les populations en expriment le besoin.
Pendant les deux siècles et demi qui précèdent
l’abolition de la tenure seigneuriale, les préoccupations
des intervenants changent. Jusqu’à la conquête,
les autorités coloniales mesurent l’occupation
du territoire de façon précise, c’est-à-dire
dénombrent la population. Après la conquête,
le gouvernement britannique cherche plus à contrôler
le territoire qu’à dénombrer sa population,
ce qui explique vers 1780 la plus grande rareté d’aveux
et dénombrements des détenteurs de lots par les
seigneurs. Ceux-ci gèrent également leur seigneurie
de façon différente en fonction de son état
de développement et du nombre de seigneuries possédées.
Tant et aussi longtemps que la seigneurie renferme un petit
nombre de censitaires, soit jusqu’aux années 1730-1740,
le seigneur utilise peu d’outils de contrôle, ce
qui se reflète par la quasi-absence de sources écrites.
Quant aux grands propriétaires terriens, en pratique
les seigneurs ecclésiastiques tels le Séminaire
de Québec et les Sulpiciens, ils se voient confrontés
très tôt à l’établissement
d’instruments de contrôle précis, terriers,
censiers, livres de comptes, etc. Non seulement les sources
sont-elles plus nombreuses chez ces derniers, mais elles ont
été mieux conservées. Pour les seigneurs
laïcs possédant moins, il ne reste souvent que très
peu, la conservation et l’accessibilité étant
liées à la remise des documents entre les mains
de services d’archives publics et privés.
Les présentations en ateliers, qui prennent ensuite la
relève, sont données par Rénald Lessard
avec la collaboration de Christian Drolet, Jacques Fortin, Andrée
Héroux, Monique Lord et Jean Thibault. Les grandes séries
de documents d’origine publique, témoignant de
la mise en place du système seigneurial jusqu’à
son extinction complète en 1975, sont passées
en revue avec, au besoin, leurs lacunes selon la période
à laquelle elles appartiennent. Certaines séries
sont plus connues : les registres et les cahiers d’intendance
référant aux concessions aux seigneurs eux-mêmes;
les aveux et dénombrements des censitaires par les seigneurs,
cette source se faisant plus rare au cours du Régime
anglais, les recensements de différents types, ceux de
portée plus générale livrant des données
agglomérées, ceux de nature patriarcale ne retenant
que les chefs de famille ou ceux du genre nominatif renseignant
sur chaque individu; les grands inventaires du territoire dont
les résultats se retrouvent dans les dictionnaires imprimés
(1815 et 1831-1832) de l’arpenteur général
Joseph Bouchette; l’enquête de 1843 et autres documents
qui ont précédé l’abolition du régime
seigneurial déposées dans les archives de la Chambre
d’assemblée; les cadastres des seigneuries préparés
pour dédommager les seigneurs de la perte de leurs droits
en 1854; le fonds du Syndicat national de rachat des rentes
seigneuriales mis sur pied pour assurer l’extinction complète
du système et dont le mandat prend fin en 1975 —
l’abolition de la tenure en 1854 fait disparaître
les droits de mutation, de banalité, mais ne dispense
pas du paiement des cens et rentes.
Les fonds de nature privée, renfermant des renseignements
sur le fonctionnement du régime seigneurial, sont aussi
abordés sous un triple point de vue : quant à
leur endroit de conservation, particulièrement ceux entre
les mains de services d’archives publics, Bibliothèque
et Archives Canada, Bibliothèque et Archives nationales
du Québec (BANQ); quant à leur nombre et contenu,
par exemple la liste des fonds conservés par BANQ, démontrant
leur existence et leur intérêt pour la recherche,
même s’ils ne peuvent soutenir la comparaison avec
ceux des seigneuries ecclésiastiques, tel le fonds du
Séminaire de Québec comprenant terriers et censiers,
livres comptables, etc. Il est d’intérêt
de mentionner l’existence d’un type de source qui
a existé à l’époque des seigneuries,
mais dont le chercheur ne retrouve plus trace aujourd’hui,
le billet de concession remis par le seigneur au censitaire
avant l’octroi du titre définitif. Les questions
de toponymie et de gestion du territoire par le biais du régime
municipal comptent aussi parmi les sujets abordés.
Espaces et familles après 1850
Le thème de l’après-midi donne d’abord
lieu à une conférence d’introduction par
Marc St-Hilaire sur le système des cantons adossés
aux seigneuries. Par la suite, des présentations sont
faites en ateliers par Rénald Lessard, Andrée
Héroux et Jean Thibault sur les archives laissées
par le système de même que sur un complément
additionnel d’information pour mesurer l’occupation
du territoire, les recensements.
Le système cantonnal peut être vu comme un mode
de concession et de gestion du territoire sous la dépendance
de l’État uniquement, à la différence
de la période précédente où le seigneur
demeure un agent important. Par contre, si le seigneur disparaît
comme interlocuteur majeur, l’arpenteur est toujours présent
et un nouvel intermédiaire apparaît, l’agent
des terres, qui fait le lien entre le gouvernement, plus précisément
le service de concession des terres, et les colons relevant
de la division administrative dont il a charge. Malheureusement
pour ce dernier, il ne reste pas de documents concernant la
gestion interne de son bureau.
Dans le système cantonnal, la physionomie du territoire
change : le carré fait place au rectangle, ces bandes
de terre étroites et allongées sur la façade
des cours d’eau. Comme au temps du régime seigneurial,
l’État recourt aux services d’arpenteurs
pour découper le territoire en canton, et pour un même
canton, mesurer les lots sur le terrain, poser des points de
repère au sol (arpentage primitif) et immatriculer chaque
lot, c’est-à-dire leur attribuer un numéro
(registes et plans cadastraux à compter de 1860). Dans
l’accomplissement de leurs opérations, les arpenteurs
ont laissé trois grandes séries de documents :
les carnets de notes décrivant les opérations
effectuées sur le terrain et illustrant la position des
bornes, les plans et les journaux, ces derniers pouvant parfois
se révéler très riches pour connaître
la présence de colons (squatters, familles apparentées)
installés avant la venue de l’arpenteur et sans
autorisation officielle, de même que certaines infrastructures
tels des quais, etc. Avant d’être concédée,
toute terre doit être arpentée.
Pour la période considérée, le mode de
concession repose sur le permis d’occupation et la vente,
afin d’éviter la spéculation foncière.
L’État remet un billet de concession au
concessionnaire, le colon recevant par là une autorisation
de s’installer sur un lot avec sa famille (les billets
sont pratiquement introuvables avant 1937, année où
les registres débutent). Le billet fixe les
conditions d’établissement (construction des bâtiments,
superficie à défricher, etc.) et d’obtention
du lot (prix à payer). Celle-ci se fait par le biais
d’une vente dont le prix est payable par versement au
service de la concession des terres ou à l’agent
des terres qui remet l’argent au service de la concession
à Québec (livres des ventes et livres
des recettes). À la différence du régime
seigneurial, les droits des seigneurs sont disparus : il
n’est plus question de droit de banalité, de cens,
de rente, de droit de mutation, etc. Une fois le prix de vente
entièrement acquitté, le titre de propriété
sous forme de lettres patentes est délivré au
colon (livres de référence pour lettres patentes)
après recherche des mutations ayant pu affecter la propriété,
c’est-à-dire les ventes, échanges, etc.
conclus depuis le premier acquéreur qui n’est pas
nécessairement celui qui reçoit les lettres patentes
(registres d’enregistrement des transports et
les transports eux-mêmes). Si la vente est la
règle générale pour l’octroi des
lots, ceux-ci peuvent être aussi remis sans frais en retour
de l’entretien de chemins de colonisation dans le cas
de lots situés en bordure de ceux-ci; ils peuvent être
aussi donnés en guise de support aux familles de douze
enfants et plus (registres des octrois gratuits); les
lots sous billet de concession peuvent encore être repris
par l’État pour cause de non-respect des conditions
d’établissement et d’obtention, et concédés
à nouveau par voie d’adjudication (registres
des adjudications). La demande d’obtention de lettres
patentes, octroyées à la suite du paiement complet
du prix de vente, se retrouve dans la correspondance ancienne
qui comprend aussi celle des agents des terres (rapports mensuels,
etc.) jusqu’en 1917 (à laquelle peuvent être
joints des documents de toute sorte, billet de location, etc.),
par la suite dans les dossiers de lots pouvant renfermer
une information des plus variées : nombre de personnes
dans la famille du demandeur, lettres de référence
du curé de la paroisse, du député, etc.
L’ensemble des informations relatives aux concessions
sont accessibles par le biais du terrier (en voie d’informatisation),
ou plutôt les registres terrier. Il s’agit
en fait de gros volumes qui permettent de suivre la trace des
droits de l’État sur chaque lot (présenté
par canton et rang); l’information a trait au billet de
concession, à la révocation de celui-ci et à
sa remise à un autre occupant, aux différents
versements effectués par un occupant pour régler
le prix de vente, à l’obtention des lettres patentes.
Les registres terrier permettent d’accéder aux
autres registres et documents mentionnés au paragraphe
précédent. Depuis l’ouverture du premier
registre, l’information accumulée au fil du temps
a nécessité des recopiages, à chaque fois
l’information désuète étant laissée
pour compte d’un registre à l’autre. Il n’en
demeure pas moins que, pour toute recherche, les registres terrier
constituent le point de départ pour la consultation des
archives du service de la concession des terres.
Le titre de propriété sur un lot accordé
par l’État fait en sorte que le lot sort du domaine
public. Dorénavant, à compter de 1841, tous les
actes l’affectant, vente, hypothèque, avis juridique,
document sous seing privé, etc., sont pris en charge
par les bureaux d’enregistrement, appelés aujourd’hui
bureaux de publicité des droits en raison de leur raison
d’être. Autrefois, l’enregistrement des actes
se faisait par transcription dans de grands registres, puis
par la suite par dépôt. La consultation des actes,
affectant chacun des lots, est facilitée dans les bureaux
d’enregistrement par les plans cadastraux de cantons et
par les livres de renvoi décrivant les lots tracés
sur les plans (dimensions, superficie), de même que par
les index aux immeubles (préparés en fonction
des numéros des lots) et par les index aux noms des individus
impliqués dans les transactions. Comme pour le terrier
de la province, les documents des bureaux d’enregistrement
sont en train d’être numérisés.
Conclusion
Cette 45e journée, organisée par la
Société de généalogie de Québec,
ne pouvait manquer de se terminer sur une note d’enthousiasme.
Enthousiasme à l’idée que le partenariat
entre généalogistes, historiens, chercheurs universitaires
et archivistes puisse se poursuivre d’une façon
encore plus intense et soutenue. Enthousiasme devant les sources
originales dont le défi de consultation lancé
par leur abondance n’en laisse pas moins découvrir
de grandes possibilités pour localiser avec plus d’exactitude
des familles mobiles sur un vaste territoire. Enfin enthousiasme
et émulation devant le dynamisme et l’intérêt
des membres de la Société de généalogie
de Québec pour la diffusion de l’histoire des familles.
L’occasion ne pouvait être mieux choisie pour recevoir
le journaliste Louis-Guy Lemieux, comme 6 000e membre, l’auteur
d’une toute dernière publication sur les Grandes
Familles du Québec (Septentrion, 2006, 162 pages).
Gilles Durand
21 novembre 2006 |
Crédit
photo: Bernard Lebeuf, Société de généalogie
de Québec
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