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dimanche 19 mai 2024

Commission de la mémoire franco-québécoise

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Le 400e anniversaire de la mort de Henri IV :
une journée consacrée au rappel du grand roi

 

par Gilles Durand

 

La genèse du projet : une histoire qui débute en 2007

 

Pierre Dugua de Mons, considéré en 2007 comme le cofondateur de Québec au même titre que Champlain, est jusqu’alors un personnage mis de côté et oublié, sans aucun doute en raison de la religion protestante à laquelle il adhérait. Pourtant, c’est lui qui fait de Champlain son lieutenant et qui lui fournit colons-artisans, provisions, armes et matériaux de construction pour fonder Québec en 1608. Grâce entre autres aux efforts de la Société historique de Québec, qui tient à rendre justice à Pierre Dugua de Mons, un buste est dévoilé en 2007 à son honneur.

 

Henri IV, roi de France de 1589 à 1610, connaît lui aussi le même sort jusqu’à la dénomination par son nom d’une autoroute dans l’ouest de la capitale nationale en mai 1981. Il est alors sorti de l’ombre parce que c’est lui qui fait de Pierre Dugua de Mons, cofondateur de la ville de Québec, son lieutenant général. Mais voilà qu’une proposition est avancée par la suite pour en changer le nom. Par la voix de son président, Jean Dorval, la Société historique de Québec intervient énergiquement pour en conserver la dénomination dans un communiqué en date du 23 octobre 2009. Et comment mieux le faire qu’en rappelant le rôle important joué par Henri IV dans l’implantation française en Amérique et dans la fondation de la ville de Québec en 1608 : le souverain, en effet, apporte son soutien à Dugua de Mons et à Champlain.

 

En cette année 2010 marquant le 400e anniversaire du décès de ce grand roi, assassiné en 1610, la Société historique de Québec a encore jugé nécessaire de rappeler sa mémoire et en quoi consiste sa contribution à la présence française en Amérique. Pour ce faire, elle lui consacre la journée du 2 novembre 2010. Les activités privilégiées sont le dévoilement d’une plaque, une conférence et une table ronde pour faire connaître ou redécouvrir au besoin les faits et gestes qui sont associés à son règne. Pour assurer le succès de l’événement, elle joint ses forces à celles de quatre partenaires intéressés : la Ville de Québec, la Commission de la capitale nationale du Québec (CCNQ), le Département d’histoire de l’Université Laval et la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC).

 

 

Hélène Le Gal, Jean Dorval, Michelle Morin-Doyle et Frédéric Smith
De g. à d. Hélène Le Gal, Jean Dorval,
Michelle Morin-Doyle et Frédéric Smith
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Le dévoilement d’une plaque dédiée à Henri IV donne le coup d’envoi

 

La journée débute en avant-midi par le dévoilement d’une plaque de bronze commémorative, dédiée à Henri IV, à l’hôtel de ville de Québec, dès l’origine tête de pont vers l’intérieur du continent. La cérémonie se déroule en présence de Michelle Morin-Doyle, conseillère municipale et membre du comité exécutif de la Ville de Québec, Hélène Le Gal, consule générale de France à Québec, Jean Dorval, président de la Société historique de Québec (SHQ), et Frédéric Smith, historien et chargé de projet à la CCNQ. Les inscriptions sur la plaque annoncent déjà le contenu du programme de la journée : l’une d’elles laisse entrevoir en quoi consiste la contribution du roi à la présence française en Amérique :

À la mémoire de Henri IV (1553-1610), le roi de France qui soutint Champlain lors de la fondation de Québec…;

 

une autre donne un des moyens utilisés pour redonner prospérité à son royaume, en reproduisant un court passage de Voltaire :

Je chante ce héros qui régna dans la France… qui, formidable et doux, sut vaincre, et pardonner…

 

 

Michel De Waele et Jacques Mathieu, présentateur
De g. à d. Michel De Waele
et Jacques Mathieu, présentateur
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Michel De Waele, professeur et directeur du Département d’histoire de l’Université Laval : l’occasion d’un rappel et d’un lancement sur le volet outre-Atlantique du règne de Henri IV

 

Henri IV, devenu roi de légende, possède une image plus grande que nature. Malgré sa conversion au catholicisme en1593, après être monté sur le trône en 1589, il n’hésite pas à se montrer conciliant face aux protestants dans le but de mettre fin aux guerres de religion et de pacifier le royaume : il promulgue l’édit de Nantes en 1598. Le conférencier rappelle que l’édit n’est pas une mesure de tolérance mais plutôt de concorde, visant à amener les protestants au catholicisme par la douceur. L’important pour le roi, c’est que tous les Français travaillent ensemble pour relancer l’économie nationale. De son côté, il appuie la diffusion des connaissances en matière agricole, tente de développer l’industrie nationale des textiles et des mines, et fait de grands efforts pour faciliter la circulation intérieure. Le souverain vise avant tout le bien-être des Français et l’intégration de la France dans le mouvement de planétarisation. Il lance des expéditions outre-Atlantique, espérant être en mesure de prendre sa place en Amérique parmi les nations européennes colonisatrices et d’étendre son territoire. Le conférencier ne peut mieux témoigner de sa connaissance en profondeur du sujet qu’en lançant son dernier ouvrage, tout juste sorti des Presses de l’Université Laval dans les Collections de la République des Lettres, sous le titre Réconcilier les Français. Henri IV et la fin des troubles de religion (1589-1598).

 

 

La clôture de la table ronde : mission accomplie
La clôture de la table ronde :
mission accomplie
De g. à d. André Dorval, Éric Thierry,
Esther Taillon, vice-présidente de la SHQ,
Jean Dorval, président et Denis Vaugeois
Crédit : Société historique de Québec

Que retenir de la contribution du roi Henri IV de ce côté-ci de l’Atlantique

 

Henri IV consolide son royaume pour mieux le redéployer en Amérique du Nord. Mais en quoi consiste exactement sa contribution. C’est pour répondre à cette question que la Société historique de Québec s’associe à la CFQLMC pour donner la parole à un conférencier français, Éric Thierry, spécialiste de l’histoire de la France coloniale et professeur au lycée de Laon, dans le cadre d’une table ronde animée par l’historien et éditeur Denis Vaugeois. Le coprésident de la CFQLMC, André Dorval, introduit l’activité, qui se tient au Musée de la civilisation du Québec, en rappelant l’importance de toujours entretenir et enrichir la mémoire.

 

Le conférencier développe avec beaucoup de maîtrise la grande aventure de la France en Amérique du Nord sous le règne d’Henri IV. À l’époque, la France, déjà présente sur les côtes de Terre-Neuve et dans le golfe Saint-Laurent pour la pêche à la morue et la traite des fourrures – sans abandonner la recherche d’un passage vers l’Asie –, tente d’avoir un pied à terre permanent. Dès lors commence une longue recherche qui l’amène à l’île de Sable, à l’île Sainte-Croix, à Port-Royal et finalement à Québec. Les collaborateurs choisis et supportés par Henri IV se succèdent sans interruption : La Roche, Pierre Chauvin, Aymar de Chaste, Gravé du Pont, Dugua de Mons, ces deux derniers accompagnés de Champlain. Ce dernier se montre très rapidement un acteur indispensable sur qui l’on peut compter pour que les investissements rapportent des bénéfices. La pénétration à l’intérieur du continent amène des alliances avec certaines nations amérindiennes, Montagnais, Algonquins, mais en même temps elle entraîne des guerres avec d’autres, les nations iroquoises. N’importe, la France réussit à prendre pied en permanence sur le continent nord-américain.

 

Le conférencier est l’auteur de plusieurs publications dont La France de Henri IV en Amérique du Nord. Les intéressés trouveront plus d’information dans le bulletin Mémoires vives de la CFQLMC no 30, juin 2010.

À l’écran, La Folle entreprise, sur les pas de Jeanne Mance

Lancement mondial

 

Par Annabel Loyola
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La folle entreprise sur les pas de Jeanne Mance
Crédit : Annabel Loyola / C'EST BON PRODUCTIONS ENR

Mémoires vives a salué dans sa chronique Quoi de neuf la sortie du film consacré à Jeanne Mance et réalisé par Annabel Loyola.

Le lancement européen du film vient de se tenir à Langres, en Champagne, et il a été présenté au Festival international du film documentaire “Cinéma Vérité”, dans la section “Femmes et documentaire” à Téhéran (8-12 novembre 2010) et a été retenu dans la sélection officielle 2010 du Festival fiction et documentaire de Bruxelles. La réalisatrice, qui a été distinguée pour cette œuvre par la médaille de la Société historique de Montréal 2010, présente son film.

 

« Le projet a commencé lors du 400e anniversaire de naissance de Jeanne Mance, en 2006. L'idée de faire un film sur Jeanne Mance me trottait dans la tête depuis longtemps de par nos origines communes. Mais j'étais persuadée que les grandes institutions ou maisons de production s'étaient intéressées au projet avant moi. Lorsque j'ai assisté à Montréal à la conférence intitulée « Jeanne Mance, cofondatrice de Montréal » donnée par Jacques Lacoursière le 12 avril 2006, mon sang n'a fait qu'un tour et j'ai immédiatement pris la décision de faire un film - mon film - sur Jeanne Mance. En l'espace d'une heure ou deux, j'avais découvert une femme d'exception, un modèle, j'avais l'impression de comprendre les raisons de son attachement pour Montréal, je revoyais ma ville natale. Cette femme s'est dépassée, sa détermination m'a fascinée. J'ai surtout réalisé qu'aucun film ni aucun documentaire ne lui avait été consacré jusqu'à aujourd'hui.

 

 

Une nécessité : faire connaître et reconnaître l’œuvre de Jeanne Mance

 

Le film La Folle entreprise, sur les pas de Jeanne Mance est né d'un besoin de faire connaître et reconnaître Jeanne Mance, sa vie et son oeuvre au plan de l'audiovisuel. Cela pour une raison toute simple au départ : comme Jeanne Mance, je suis née à Langres où j'ai passé ma jeunesse avant de choisir de vivre à Montréal, cette ville dont la fondation est pour une bonne part imputable à mon illustre compatriote. Bien que des historiens se soient intéressés à elle – et que tout ce que j'ai énoncé dans mon film se dégage des recherches déjà faites – il n'en demeure pas moins que le grand public ne la connaît pas encore. Je ne la connaissais pas moi-même avant 2006 ! Jeanne Mance ne faisait pas partie de mes cours d'histoire à Langres.

 

On voit son nom partout au Québec et au Canada. En France et dans le reste du monde, elle n'évoque rien pour quiconque, en dehors de quelques érudits. À Langres, il y a une place, un lycée, un centre médical qui portent son nom et une statue a été érigée pour lui rendre hommage en 1968 à la demande des Montréalais. À Troyes, ville natale de Marguerite Bourgeoys, un lycée porte son nom. Mais que ce soit à Langres ou à Montréal, lorsque j'ai interrogé les gens dans la rue, rares étaient ceux qui savaient qui elle était et surtout, ce qu'elle avait fait. Les réponses les plus fréquentes à ma question « Connaissez-vous Jeanne Mance ? », étaient les suivantes : « Une sainte ? Une religieuse ? » ou encore « Un hôpital ? Une école ? Un parc ? ». Elle n'était rien de cela.

 

 

Cofondatrice de Montréal

 

Jeanne Mance dans son rôle de cofondatrice de Montréal est restée dans l'oubli pendant 350 ans. En effet, en 1992, lors du 350e anniversaire de la fondation de Montréal, Jeanne Mance est pour la première fois officiellement reconnue comme étant la cofondatrice de Montréal avec Paul de Chomedey de Maisonneuve. Avant cette date, seuls quelques historiens ou érudits du XXème siècle l'ont honorée de ce titre, mais cela restait marginal. Après 1992, on trouve des écrits officiels annonçant Jeanne Mance comme étant cofondatrice de Montréal. Malgré cela, j'ai été surprise de constater qu'en 2006, même si Langres et Montréal fêtaient en grande pompe son 400e anniversaire de naissance, le dépliant intitulé Carte officielle et circuit lumière du Vieux-Montréal édité par la Ville de Montréal et le Ministère de la culture, des communications et de la condition féminine représentait en première page la statue du monument de Maisonneuve de la Place d'Armes de Montréal, indiquant la légende suivante : « Paul de Chomedey de Maisonneuve, fondateur de Montréal, 17 mai 1642 ». Cette information était exactement la même en 2009... En seulement quelques années, Jeanne Mance semble de nouveau avoir disparu des textes officiels. Notre mémoire est éphémère, nous vivons dans une amnésie collective.

 

Tout au long du processus de création du film, je sentais comme une urgence d'aller au bout de ce projet pour rétablir les faits, preuves à l'appui. Une urgence qui m'appartenait, car au fond, on n'est plus à dix ans près ! Les obstacles, l'adversité, les embûches pour mener à bien ce projet ont été nombreux. Il m'était toutefois impossible d'abandonner, je me suis sentie dépassée par cette mission.

 

 

La quête des sources

 

Jeanne Mance n'a pas laissé d'écrits autobiographiques et les incendies ont effacé une grande partie de sa mémoire de part et d'autre de l'Atlantique. Tout ce que nous savons, c'est grâce aux registres, aux actes notariés et surtout grâce à ses contemporains qui ont laissé des écrits d'une valeur inestimable pour notre histoire. Ce sont ces documents à la source qui m'ont inspirée dans la réalisation du film et qui parfois, et par chance pour moi qui suis non-historienne, connaissaient des éditions critiques.

 

Un film, c'est une histoire constituée d'images et de sons. L'histoire, c'est celle de mon voyage dans mon effort pour retrouver les traces de Jeanne Mance. Pour les images et les sons, il a fallu faire preuve d'inventivité et de créativité, car, encore une fois, il ne reste plus grand chose de l'époque de Jeanne Mance.

 

Au fil de mes rencontres et de mon périple, j'ai pu retrouver la femme qu’elle a été. J'ai fait disparaître sa robe de bronze et levé le voile sur la vie qu’elle a menée avant de se lancer dans sa « folle entreprise ». En retournant aux sources de son parcours, j'ai revisité mes propres origines. J'ai réalisé que ces lieux qui l’ont formée berçaient depuis toujours mon inconscient et animaient mes pensées. À travers mes propres souvenirs de petite fille ayant évolué dans un décor aux allures médiévales, j’ai imaginé le chemin qu’une fillette des siècles passés aurait pu emprunter. Qu’est-ce qui a forgé cette femme à la droiture ? Qu’est-ce qui lui a transmis les bases solides d’une morale sans faille ? J'ai sillonné sa route qui me paraissait si familière pour trouver le point de rupture et les événements qui l’ont amenée à tout quitter pour suivre son élan.

 

À travers mes recherches sur les pas de Jeanne Mance, j'ai renoué avec mon héritage langrois et j'ai pris conscience des raisons qui m’ont incitée, à mon tour, à partir outre-mer. J'ai constaté que malgré les quatre siècles qui nous séparent, quelque chose d’universel nous unissait : l’appel au dépassement de soi.

 

Jeanne Mance a suivi son élan et est restée fidèle à son engagement jusqu'à la fin. Elle m'a été d'une grande inspiration pour la réalisation de ce film. Je reprends ma narration finale : « Combien de grandes métropoles dans le monde pourraient s'enorgueillir d'avoir une femme pour fondatrice ? ».

 

Si vous souhaitez plus d’informations, vous pouvez consulter :

 

 

 

Volet québécois
Présentation au congrès de la Société des professeurs d’histoire du Québec

par Gilles Durand

 

La Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ) a tenu son 48e congrès au Collège Sainte-Anne de Lachine les 5 et 6 novembre 2010. Les organisateurs prévoient à l’intérieur du programme un atelier spécial pour faire connaître le film tout récemment lancé par Annabel Loyola sur l’héritage laissé par Jeanne Mance. Pour l’occasion, la réalisatrice présente elle-même son film, le contexte de sa production et les motifs qui l’ont animée.

 

 

En atelier : Annabel Loyola
En atelier : Annabel Loyola
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Pourquoi un film sur Jeanne Mance?

 

Au-delà de l’origine commune, la ville de Langres, qu’elle partage avec Jeanne Mance, la cinéaste est motivée par le fait que la mémoire collective retient bien peu sur ce personnage, une infirmière ni mariée, ni veuve, ni religieuse, à l’origine de la fondation de l’Hôtel-Dieu de Montréal remise aux Religieuses hospitalières de Saint-Joseph à leur arrivée en 1659. Des rappels mémoriels existent bien, plaques commémoratives, dénomination d’édifices, statue, tant à Langres qu’à Montréal. Une tentative de faire sortir de l’ombre la contribution de Jeanne Mance comme cofondatrice de Montréal au même titre que Paul Chomedey de Maisonneuve est faite en 1992 à l’occasion du 350e anniversaire de la fondation de Montréal, appelée à l’époque Ville-Marie. Malgré tout, il reste aujourd’hui bien peu du souvenir de Jeanne Mance en dehors du cercle des érudits. Un oubli majeur qui, dit-elle, donne naissance à son film.

 

 

L’audiovisuel pour combler un déficit de mémoire sur Jeanne Mance

 

C’est par l’audiovisuel que la cinéaste Annabel Loyola décide de faire connaître et reconnaître Jeanne Mance comme cofondatrice de Ville-Marie et de la faire revivre dans la mémoire collective des Québécois et des Français. Le média choisi tient compte de l’expertise antérieure de la cinéaste. Malgré l’absence d’écrits de la main de Jeanne Mance et la disponibilité seulement de quelques registres, d’actes notariés et de témoignages de ses contemporains, la réalisatrice relève le défi avec succès.

 

La cinéaste fait preuve d’un engagement inconditionnel face à son projet qui permet de renouer avec nos origines. Elle témoigne de beaucoup de curiosité face aux sources disponibles. Elle fait preuve de créativité dans le choix des images et des commentaires qui les accompagnent. Elle se laisse en effet guider par les idées et les sentiments que lui inspire un voyage, le sien, sur les deux côtés de l’Atlantique, dans ce qu’elle imagine avoir été l’univers quotidien de Jeanne Mance. Elle manifeste beaucoup d’ouverture face aux travaux des chercheurs et des historiens, tant québécois que français, spécialistes du contexte dans lequel vit Jeanne Mance : tout au long du film, elle leur laisse la parole.

 

 

Un message approprié qui se signale par la qualité de l’image et des sons

 

Annabel Loyola produit une œuvre de vulgarisation. Elle aide à mieux connaître et comprendre les motivations qui ont amené Jeanne Mance à quitter sa ville natale, Langres, et à s’installer en permanence dans la colonie, de même que l’héritage qu’elle nous laisse, un hôpital mais aussi et surtout un bourg devenu aujourd’hui une métropole. L’objectif qu’elle poursuit ne l’empêche pas de parvenir à une grande maîtrise de l’art cinématographique, au point que le documentaire qu’elle nous offre peut être qualifié de documentaire poétique. Les personnes, intéressées à inviter la réalisatrice à présenter son film de même qu’à le voir, peuvent consulter dans le présent bulletin Mémoires vives un article signé de la main même de l’auteure sous le titre À l’écran, La Folle Entreprise, sur les pas de Jeanne Mance.

 

 

Pour le programme complet du congrès de la SPHQ tenu les 5 et 6 novembre 2010

 

Pour connaître le programme complet du congrès tenu les 5 et 6 novembre 2010, consulter le site de la SPHQ

Voyage de retour aux sources en France
Association des Blais d’Amérique
26 mai – 10 juin 2010

 

 

par Maud Sirois-Belle
Coordinatrice du voyage de retour aux sources en France

 

Les Blais d’Amérique qu’anime, depuis la création de l’Association il y a dix ans, un désir de mieux connaître l’ancêtre Pierre Blais, voulaient plus qu’un simple périple touristique en venant en France. « Cahiers des Blais » et « Journal des Blais » , « Plaque mémorielle Pierre Blais » de Saint-Jean (Ile d’Orléans), rassemblements annuels de centaines de Blais, enfin « Dictionnaire généalogique des Blais d’Amérique », tant d’activités et de réalisations ne pouvaient que créer une attente culturelle. Ce fut d’abord le rêve de quelques-uns,  puis à partir de 2007-2008, cela devint le projet d’une équipe. Le programme proposé rallia plus d’une trentaine de personnes. Nous souhaitions vivre un véritable « retour aux sources ».

 

On arrêta d’abord le « lieu » de la commémoration. On donna la « parole » à Pierre Blais. Dans son contrat de mariage avec Anne Perro, il dit être originaire de Dam (de nos jours Hanc), évêché d’Angoulême. Nous allions répondre à l’invitation lancée en juin 2008 à l’occasion du « 400e de Québec » par le maire de Hanc, Luc Denis : faire de Hanc le lieu de mémoire de Pierre Blais en France. Et commença le « laborieux » travail d’élaboration de la plaque mémorielle. Texte écrit par les Blais, designer québécois, marbrier français, maçon hancois. La stèle dévoilée le 5 juin 2010, hommage des descendants de Pierre Blais à leur ancêtre, est désormais comme un coeur qui bat au centre du bourg de Hanc, à la croisée de tous les chemins qui en partent ou qui y arrivent.

 

Association des blais d'Amériques

crédit : Association des Blais d'Amérique.

 

 

Elaboration d’un programme

 

L’élaboration du programme nous amena à poursuivre certaines recherches dans les Archives de Niort, de La Rochelle, d’Alençon. Des complices français de la première heure et de tous nouveaux collaborateurs nous rejoignent alors et deviennent des collecteurs de documents, des éclaireurs d’histoire, des baliseurs de chemins. Car il ne suffit pas de disposer de quelques documents historiques ou généalogiques et de plusieurs indications géographiques pour bâtir un retour aux sources. Il faut avoir de nombreux amis sur le terrain, aptes à être « animateurs des lieux », en quelque sorte des « passeurs de mémoire ».

 

Ces deux dernières années, les Blais d’Amérique découvrirent, suite à deux articles publiés dans le Journal des Blais, qu’ils étaient « plus que Blais ». Ils comprirent que la voie patronymique menant au premier ancêtre n’était qu’une branche de l’arbre généalogique. Et qu’il fallait aussi suivre le chemin des grands-mères pour rejoindre tous les pères du « grand chêne ». Ainsi ce voyage de retour aux sources allait-il nous conduire sur la trace des grands-mères Filles du Roy et des Percheronnes et Percherons partis dès 1634.

 

 

Sur le chemin des premières grands-mères « Filles du Roy »

 

Les journées « retour aux sources » du voyage commencèrent par une promenade dans l’enclos de la Salpêtrière à Paris, parmi les bâtiments contemporains des onze aïeules Filles du Roy liées aux deux premières générations de Blais. On nomma ces onze femmes au coeur de la Chapelle, comme en un fervent hommage. Anne Perrot, grand-mère fondatrice, première épouse de Pierre Blais, était Fille du Roy, originaire de Saint-Sulpice (autre lieu visité), Paris. La Salpêtrière, lieu « symbole » du départ des Filles du Roy, était pour la première fois honorée comme un lieu de mémoire par une famille souche québécoise. Ce fut ainsi l’occasion d’établir les prémices d’une commémoration future.

 

 

Périple au pays des ancêtres percherons

 

L’autre grand moment de ce « retour aux sources » nous plongea en pays percheron. Nous traversâmes le département de l’Orne d’Autheuil à Tourouvre, de la Gagnonnière à la Ventrouze, de Bresolettes au manoir de Bivilliers, sans oublier l’arrêt devant les vitraux « Mercier » de l’église Saint-Aubin de Tourouvre. Une « cousine » se joignit à nous au cours de ce « pèlerinage » familial, Madame Louise Blais, conseillère culturelle de l’Ambassade du Canada à Paris. Le lendemain nous prîmes le chemin de Mortagne (son jardin à la française, ses vieux hôtels, ses ruelles pentueuses, l’église Notre-Dame et le vitrail Pierre Boucher), puis la direction de Saint-Cosme-en-Vairais (l’église Saint-Côme et Saint-Damien et ses nombreuses plaques mémorielles en hommage aux Cosméens partis en Nouvelle-France). Traversée de la forêt de Bellême, pause au manoir de Courboyer, salut à la maison « Robert Drouin » de Le-Pin-la-Garenne, arrêt devant l’un des fours à chanvre de Contres (historique des fours et de la culture du chanvre en Perche sarthois par Monsieur le maire de Saint-Cosme-en-Vairais). Partout nous attendaient les maires des communes où l’on fit halte, les propriétaires des lieux nous ouvrant leur maison, partout des témoignages de fidélité, des signes de « fraternité », des repas chaleureux, des verres de l’amitié, des échanges de cadeaux et surtout la découverte émouvante des lieux des ancêtres. Les membres-animateurs de l’Association Perche-Canada furent de fidèles compagnons de route.

 

Les Blais du voyage comptaient tous de nombreux Percherons dans leurs ascendances (dont Julien Mercier pour la plupart). Mais nous voulions surtout rendre hommage à Jean Royer, père d’Elisabeth Royer, deuxième épouse de Pierre Blais. Ce fut un moment très touchant à Saint-Cosme-en-Vairais, lieu de ses origines. Quelques descendants de Cosméens (Fortin, Gagné, Rouillard, Royer) furent faits citoyens d’honneur et l’on « célébra » le chanvre, plante liée au patronyme Blais par Saint-Blaise (patron des peigneurs de chanvre), mais aussi plante très présente dans cette région du Perche et au Québec dès le XVIIe siècle. Le maire, Monsieur Jean-Yves Tessier, son Conseil municipal et le comité de jumelage de Saint-Cosme-en-Vairais avec le Québec nous firent fête.

 

 

En marche vers le « pays » de Pierre Blais

 

A l’Ile de Ré, accompagnés d’un connaisseur des Rétais partis en Nouvelle-France, les Blais marchèrent sur les traces de Jacques Beaudoin, père de Françoise Beaudoin, épouse de Pierre Blais, fils aîné de l’ancêtre. De ce couple sont issus plus de la moitié des Blais d’Amérique. A La Rochelle s’ouvrit pour les voyageurs le Centre d’interprétation du départ vers la Nouvelle-France dans la Tour de la Chaîne (pourtant en réparation). Un guide des Monuments Nationaux, passionnant conteur de l’épopée rochelaise vers le Nouveau Monde, leur fit « revivre » le long périple de Pierre Blais parti de La Rochelle en 1664 sur le bâteau « Le Noir de Hollande ». Plusieurs avaient aussi en tête Marie Targer, baptisée au Temple de la Villeneuve à La Rochelle. Fille du Roy du premier convoi de 1663, elle était la mère d’Elisabeth Royer, seconde épouse de l’ancêtre.

 

Nous quittâmes la mer pour gagner les « terres » de Pierre Blais dans les Deux-Sèvres. Près de Niort, à la « Roussille », lieu magique le long de « la coulée verte », nous accueillirent les responsables du Cercle généalogique des Deux-Sèvres (complices des Blais depuis près de 15 ans). Deux « passeurs de mémoire », deux amis, nous ramenèrent dans ce Haut-Poitou du XVIIe siècle qui vit « s’engager » 730 migrants, dont Pierre Blais à Chef-Boutonne (une autre de nos haltes) ; après la conférence de Marguerite Morisson, Bernard Peningault nous présenta un diaporama des actes extraits des Registres paroissiaux et des « Rooles de la taille » de Melleran déposés aux Archives des Deux-Sèvres à Niort. Nous faisons ainsi connaissance avec Pierre Blais, ses parents, son demi-frère et ses grands-parents. Nous sommes prêts à traverser le lendemain Bouin, Mandegault, Melleran, Vieilleville, Pioussay, Hanc, qui virent aller et venir Pierre et les siens. Là encore de beaux et forts moments. Accueil chaleureux à Melleran (lieu de naissance, de mariage et de sépulture des grands-parents de Pierre) où Monsieur Chartier nous raconte le chanvre en Mellois au XIXe siècle. Madame le maire Catherine Philipponneau tend la perche d’un jumelage avec un des lieux des Blais au Québec. Les descendants de Pierre sont investis de la citoyenneté d’honneur de la commune.

 

 

Hanc, lieu d’origine de Pierre Blais

 

Le passage à Hanc, lieu d’origine de Pierre Blais, se fit d’abord à pied. Guidés par Monsieur le maire, Luc Denis, nous avons suivi le chemin verdoyant des fontaines qui furent aussi lavoirs jusque dans les années 50, nous avons découvert les maisons basses couvertes de tuiles romaines enfermées dans des murs de pierres sèches, les « oeils de bac » et leurs becs d’écoulement extérieurs, le four communal sous son auvent. Nous nous approprions les lieux, faisons connaissance avec quelques Hancois. Monsieur Denis nous présente la mairie et la chapelle restaurées depuis peu à partir du seul mur subsistant de l’église détruite à la Révolution. A midi, nous partageons un repas de fête au menu typiquement mellois préparé par Claudine Denis, épouse du maire. Ce repas à la Prairie à Hanc, chez Monsieur et Madame Denis, sera l’une des « riches heures » de notre « ressourcement » au pays de l’ancêtre.

 

En fin d’après-midi, vint l’instant tant attendu, celui du dévoilement de la plaque en hommage à Pierre Blais. Sur la place au centre du bourg, devant la mairie-église de Hanc, une stèle enveloppée de bleu et de blanc, aux couleurs du Québec, une frise de drapeaux français, canadiens, québécois, américains, rappellent ce Pierre Blais parti de France et « père » de milliers de Blais d’Amérique. Tous les Blais présents sont faits citoyens hancois comme le fut Pierre. Monsieur le maire de Hanc Luc Denis et notre Présidente Lucille Blais échangent cadeaux et promesses de retrouvailles. Un envol de ballons bleus et blancs porteurs d’un message des Blais d’Amérique scelle ce moment d’amitié (quatre ballons retrouvés à ce jour en différents lieux de France). Les maires des villes voisines où vécurent des Blais (Melleran, Chef-Boutonne, Pioussay) ont été associés à la fête. Monsieur Yves Debien, vice-président du Conseil régional Poitou-Charentes nous lit un message d’amitié de Madame Ségolène Royale ; Monsieur Jean-Claude Sillon, Conseiller général des Deux-Sèvres et Monsieur Dorick Barillot, Président du Pays Mellois, nous ont fait l’honneur d’être avec nous. Le Conseil municipal et les habitants de la commune se sont associés à leur maire pour marquer ce jour exceptionnel. Les Blais et les Hancois se sont ensuite rencontrés autour d’une table de fête, ont chanté ensemble l’histoire des Blais d’Amérique, échangé informations et adresses et projeté de se revoir dans un avenir pas trop lointain. Ils auraient voulu faire la fête jusqu’aux petites heures du matin, mais le car était là qui attendait…

 

Et, depuis ce 5 juin 2010, les échanges se prolongent entre Blais d’Amérique et Hanc, lieu de leurs racines françaises.

 

 

Comité du voyage

Lucille BLAIS, Présidente de l’Association des Blais d’Amérique « ABA »

Esther BLAIS, Vice-Présidente de l’Association des Blais d’Amérique

Serge BLAIS, Directeur du C.A. « ABA », généalogiste émérite

Maud SIROIS-BELLE, Représentante « ABA » en France, CFQLMC France

Bernard PENINGAULT, paléographe, décrypteur des actes de Melleran

 

 

Collaborateurs français

Jacques NORTIER, Association Perche-Canada et Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs « CFQLMC » (Perche)

Jean-Paul MACOUIN, généalogiste collaborant au Fichier Origine, « CFQLMC » (Paris, Ile de Ré et Hanc)

Marguerite MORISSON, généalogiste Cercle généalogique des Deux-Sèvres, collaborant au Fichier Origine (La Rochelle, Deux-Sèvres et Hanc)

Maurice FORTIN, généalogiste de Saint-Cosme-en-Vairais (Saint-Cosme-en-Vairais)

 

 

Hôtes et accompagnateurs en France (par ordre de visite)

  • Madame France BOVET, Directrice du Service des Communications, La Salpêtrière, Paris
  • Société d’histoire et d’archéologie du XIIIe arrondissement de Paris (Monsieur Jean BACHELOT, Président, Madame KOIRANSKY, Madame PHUONG), Paris
  • Solange de LOISY, Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs, Paris
  • Madame Louise BLAIS, Conseillère culturelle/Directrice Centre culturel canadien, Paris
  • Association Perche-Canada, Monsieur Michel GANIVET, Président, Madame GANIVET, M. Mme BURGET, M. Mme GAY, Mme LEONARDI, M. STOCKMAN
  • Monsieur Guy MONHEE, Maire de Tourouvre (Perche-Canada)
  • Madame Béatrice DEVEDJIAN, Maire d’Autheuil (Perche-Canada)
  • Madame Elisabeth BOREL-MONTAGNE, Autheuil (Perche-Canada)
  • Monsieur André ESCARO, Manoir de la Ventrouze
  • Madame Françoise GUIBERT, Adjointe au maire de Mortagne au Perche (Perche-Canada)
  • Mlle Catherine GUIMOND, Bibliothécaire (fonds patrimoniaux), Mortagne (P.-Canada)
  • Monsieur Roger FOUQUET, Président Office du tourisme, Mortagne au P. (Perche-Canada)
  • Monsieur Jean DUPLESSIS, Maison « Drouin », Le-Pin-la-Garenne (Perche-Canada)
  • Monsieur Jean-Yves TESSIER, Maire de Saint-Cosme-en-Vairais
  • Mme Viviane GUYOT et Comité de jumelage de Saint-Cosme-en-Vairais avec le Québec
  • Monsieur GASNIER, spécialiste des vieux métiers dans le Perche, Saint-Cosme-en-Vairais
  • Pauline ARSENEAULT, directrice des Archives anciennes de La Rochelle
  • Monsieur Christian ROUVREAU, Mme Michèle COLLY, Pays Rochelais-Québec
  • Monsieur Rodolphe HUGUET, guide Monuments nationaux, Tour de la Chaîne, La Rochelle
  • Madame Danielle BILLAUDEAU, Présidente Cercle Généalogique des Deux-Sèvres, Niort
  • Madame Catherine PHILIPPONNEAU, Maire de Melleran
  • Monsieur CHARTIER, Adjoint au Maire de Melleran
  • Monsieur Jean-François SILLON, Maire de Pioussay
  • Monsieur Pascal DESBOIS, historien du Mellois (église de Pioussay)
  • Monsieur Yves DEBIEN, Vice-président du Conseil régional Poitou-Charentes
  • Monsieur Jean-Claude SILLON, Conseiller général des Deux-Sèvres
  • Monsieur Dorick BARILLOT, Président du Pays Mellois
  • Monsieur Fabrice MICHELET, Maire de Chef-Boutonne
  • Monsieur Luc DENIS, Maire de Hanc (lieu de la commémoration) et les Hancois
mercredi, 01 décembre 2010 18:11

L’avertissement de La Capricieuse

L’avertissement de La Capricieuse

NDLR – À l’approche du 50e anniversaire de la création de la Délégation du Québec à Paris, nous vous proposons une relecture des tenants et aboutissants de la visite de La Capricieuse. Le texte présenté ci-dessous, permet, par l'analyse d’un événement, d'appréhender l'évolution des relations France-Québec à travers le temps.

par Jacques Portes
Professeur
Université de Paris-VIII, Saint-Denis
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La légende entourant la venue d’une corvette de la Marine Impériale dans le Saint-Laurent en 1855 ne se serait peut-être pas développée si le chef de la station navale de Terre-Neuve avait choisi son unité de commandement pour effectuer ce périple. Il s’agissait en effet du Gassendi1, un vapeur disgracieux et mal armé, peint de couleurs sombres, fait pour la surveillance des pêches et non pour le tourisme diplomatique. Mais les événements historiques tiennent à peu de choses — ici le bon goût du commandant Belvèze — car comment des poètes auraient-ils pu s’enflammer pour le Gassendi, comment des vignettes l’illustrant auraient-elles pu symboliser la reprise des relations entre la France et les Canadiens et être reprises dans des ouvrages scientifiques ?

 

Corvette : La capricieuse
Source : Archives nationales du Québec, Centre
d’archives de Québec (cote p 428,53,D7,P60)
Droit d’auteur : domaine public

Le commandant Belvèze avait le sens inné de la communication et s’est montré judicieux en choisissant La Capricieuse pour effectuer sa mémorable mission au Canada.

 

Le rôle de cet officier est essentiel, car il a pensé et su faire accepter cette mission peu ordinaire par ses supérieurs, d’abord au ministère de la Marine, puis aux Affaires étrangères et au Commerce. Une telle initiative est venue de la base et n’a pas été imposée par une autorité lointaine. Cela explique les très nombreuses discussions interministérielles qui ont précédé la décision favorable, car nombreux étaient les sous-entendus, mais l’empereur Napoléon III n’a jamais été mis au courant de la préparation d’une mission située en dehors de ses priorités stratégiques.2

 

 

L’arrière-plan de La Capricieuse

 

Depuis l’arrivée de Napoléon III au pouvoir, élu président de la République en 1848, qui s’est proclamé empereur en 1852, la priorité de sa politique étrangère a été le rapprochement avec la Grande-Bretagne, concrétisé en 1860 par un traité de libre-échange en bonne et due forme. Ce pays avait accueilli le prince Louis-Napoléon alors qu’il était chassé de France et celui-ci admirait particulièrement la stabilité institutionnelle de cette monarchie tempérée; l’avènement de l’empire libéral après 1860 confirme cette tendance puisqu’il prend la forme d’une monarchie constitutionnelle. De plus, les deux pays sont alliés dans la guerre de Crimée qui se déroule d’octobre 1853 au traité de Paris de mars 1856: ils sont alliés avec le royaume du Piémont contre les ambitions de l’empire russe à l’égard de l’empire turc. Les relations franco-britanniques sont dominées par ce conflit et, dans ces conditions, aucun des deux gouvernements ne cherche noise à l’autre3. Or Belvèze rédige son premier rapport au sujet d’une éventuelle mission au Canada dans les derniers mois de 1853 et les ministres en discutent jusqu’en mars 1855, alors que les opérations en Crimée atteignaient leur paroxysme. En conséquence, la conception de la mission se situe en dehors de toute arrière-pensée d’une provocation à l’égard des intérêts et des susceptibilités britanniques.

 

Cette alliance ne signifie pas que France et Grande-Bretagne soient d’accord sur tout; les rivalités commerciales existent, leurs visions européennes ne sont pas similaires, mais ces tensions n’existent pas en Amérique du Nord. Là les menaces peuvent venir de deux directions : les États-Unis et la Russie. Les rodomontades nationalistes américaines visent parfois le Canada, d’autant que ces colonies britanniques ont considérablement accru leurs échanges commerciaux avec le grand voisin et que des Canadiens français surtout dans les milieux aisés de Montréal, à l’instar de Papineau, manifestent des sympathies à l’égard d’une éventuelle annexion aux États-Unis, ce qui provoque l’irritation de Londres. Toutefois, à l’été 1855, le gouvernement français n’écarte pas une attaque de diversion de la flotte russe sur Saint-Pierre et Miquelon.

 

Depuis la loi du 26 juin 1849 qui abroge les actes de navigation, la Grande-Bretagne a mis fin au système mercantiliste qui organisait ses relations avec ses colonies. En conséquence, le Canada peut commercer avec d’autres pays que sa métropole, comme la France. Jusque-là, les relations commerciales entre la France et le Canada étaient nécessairement réduites en raison du pacte colonial et ne portaient que sur des produits qui ne pouvaient se trouver en Grande-Bretagne et qui étaient lourdement taxés : livres, certains articles de mode. La France n’était reliée au Canada par aucun câble ni ligne transatlantique directe, tous les échanges transitaient par Londres, que ce soit les dépêches d’agence, les informations politiques et commerciales, les marchandises ou les voyageurs.

 

Afin de profiter des nouvelles dispositions légales, des agences consulaires françaises ont été ouvertes en 1850 à Québec et à Sydney (Nouvelle-Écosse), puis en 1854 à Saint-Jean de Terre-Neuve et à Halifax et l’année suivante à Montréal. À l’exception de ce dernier et de celui de Québec, ces postes correspondent à des initiatives du commandant de la station navale de Terre-Neuve : ils sont destinés à s’occuper de toutes les questions liées aux pêcheries du grand banc. Depuis qu’un vapeur est affecté là-bas, il doit s’approvisionner en charbon en Nouvelle-Écosse, et d’autres navires français peuvent parfois subir une réparation dans ses ports, des matelots y être soignés ou recouvrés après un naufrage, car une collision peut prendre des proportions gênantes qui demandent un intermédiaire qualifié. Dans les deux grandes villes du Bas-Canada, les agents consulaires se tiennent informés d’un commerce en plein développement, mais dans lequel la part de la France est dérisoire.

 

Une fois approuvée par le Quai d’Orsay, la proposition de création de ces agences est transmise, avant la nomination d’un consul à Montréal, au consul général de France à Londres chargé d’obtenir l’accord du gouvernement britannique : en 1850, celui-ci est donné sans réserve par lord Palmerston lui-même4, alors ministre titulaire du Foreign Office.

 

Les agents consulaires ne sont pas des fonctionnaires du Quai d’Orsay et ne sont pas payés, ce sont des notables locaux connaissant les autorités et bien au courant des pratiques commerciales ; la plupart représentent plusieurs pays en même temps et, parfois, ont même des contacts d’affaires avec des intérêts français, comme J. Bourinot de Sydney qui détient le marché du charbon pour les navires français (il deviendra sénateur lors de la réunion du premier Sénat canadien en 1867). À Halifax, l’agent est un membre de la famille Cunard propriétaire de la grande compagnie transatlantique ; à Terre-Neuve, l’hôtelier J. Toussaint est un négociant français ; à Québec, Edward Ryan, armateur et participant au commerce international, anglophone et futur député — dont la nomination a été proposée par le consul général de Londres —représente d’autres pays et suggérera son frère Thomas pour le poste de Montréal. Les deux hommes ne parlent pas français, mais le consul de Londres a été averti par les autorités locales qu’il n’y avait aucun personnage canadien-français de cette envergure, ce qui en dit long sur leurs sentiments à l’égard de ceux qui ne s’appelaient pas encore Québécois.

 

Le réseau d’agences veille à la défense et à la représentation des intérêts français, certains agents s’en acquittent mieux que d’autres. Au Québec, les frères Ryan donnent toute satisfaction ; ils se gardent de prendre la moindre initiative, mais transmettent à Paris, via Londres, des coupures de presse et des textes officiels au sujet des droits de douane et de la réglementation commerciale. Le Quai d’Orsay s’estime très convenablement informé par les rapports qui lui parviennent et peut attribuer le titre de vice-consul — purement honorifique — ou la Légion d’honneur à l’un de ses hommes pour lui manifester sa satisfaction.

 

Aucune intention politique dans la mise en place de ces agences — et la nomination d’un consul à Montréal n’y changera rien — qui doivent seulement donner à la France un œil sur le pays où ils se trouvent. Début juin 1855, E. Ryan est ainsi passablement surpris d’apprendre par la presse l’arrivée prochaine de La Capricieuse à Montréal : personne n’avait jugé bon de l’avertir.

 

En dépit de leur rôle réduit, ces agents consulaires diffusent régulièrement une information solide sur le Canada et les ouvertures possibles pour le commerce français.

 

Commandant Paul-Henri Belvèze
Portrait du commandant Paul Henry de Belvèze
Source : Archives nationales du Québec, Centre
d’archives de Québec (cote p 6000, S5,PDEN73)
Droit d’auteur : Domaine public

Le capitaine de vaisseau Paul-Henri Belvèze est nommé le 8 janvier 1853 commandant de la division navale de Terre-Neuve5. Cet officier, originaire du Quercy, a 52 ans et aspire à être vite nommé contre-amiral, mais sa carrière rapide sous la monarchie (il est alors aide de camp du ministre de la Marine, puis diplomate dans des missions difficiles) ralentit sous l’Empire : il est capitaine depuis 1846. De ce fait, il aurait préféré avoir un commandement au combat plutôt que devoir surveiller les zones de la grande pêche, mais son ministre lui fait comprendre avec vigueur son devoir d’obéissance. Quand il n’est pas en mer, cet homme est un habitué à la vie parisienne et George Sand, dans un article du Diable à Paris, remarque même sa présence dans les salons6; mais l’affectation à Terre-Neuve n’a rien de réjouissant. Sans doute le commandant de la station navale a-t-il une certaine autorité sur l’île, où un gouvernement autonome n’apparaît qu’en 1855, mais la population est fruste, composée de colons restés à terre après être arrivés comme pêcheurs ; toute l’activité est dominée par la morue dont l’odeur envahit vêtements et bateaux, dont les résidus servent d’engrais et les arêtes de pavements des rues. À l’époque de Belvèze, aucune occasion de mondanité, mais une vigilance de tous les instants sur près de 10 000 pêcheurs venus de France, car les accidents ne sont pas rares avec des naufrages, la présence tardive des icebergs et l’observation de la chasse aux phoques, qui ensanglantent la glace.7

 

Dans ce contexte, Belvèze profite de sa position à proximité de Terre-Neuve pour observer le mouvement des navires dans le golfe du Saint-Laurent qui repartent chargés de bois; il est frappé par l’intensité du trafic et découvre une voie commerciale qu’il juge prometteuse. Aussi, en décembre 1853, une fois rentré en France, il rédige un rapport pour ses supérieurs sur les perspectives du commerce canadien et propose une mission d’exploration dans ce pays nouvellement ouvert :

 

« …il serait possible de combiner le service de la station avec une excursion dans le fleuve dont le but serait de connaître les ressources, les besoins et la condition commerciale de ce grand pays. Je serais pour mon compte fort heureux, si je retourne à Terre-Neuve, que le bureau des mouvements m’ouvrît dans ses instructions la joie de ces utiles investigations. »8

 

Ce faisant, Belvèze agit en bon officier de marine, dont c’est le devoir de présenter des initiatives susceptibles d’ajouter au prestige de la France ; d’ailleurs c’est l’un de ses prédécesseurs qui avait proposé la création des agences consulaires en Nouvelle-Écosse. La proposition de Belvèze est transmise au ministre de la Marine, qui la juge très intéressante, mais ce dernier demande au commandant de la station de ne pas s’en éloigner durant la campagne de 1854 en raison de la tension internationale liée à la guerre de Crimée, en revanche il mettra à profit cette période pour pousser ses observations sur les côtes voisines et préparer un rapport complet sur le Canada.

 

En octobre 1854, Belvèze remet au ministre le rapport demandé sur « le commerce de la France dans le golfe du Saint-Laurent », qui est transmis par la suite aux ministres des affaires étrangères et du commerce.9 Ce document très complet, outre des considérations historiques et culturelles sur lesquelles nous reviendrons, part de l’observation suivante : les bateaux de la grande pêche venus des ports normands et bretons arrivent presque vides à Terre-Neuve, avec seulement un peu de sel, aussi pourraient-ils être chargés de produits français pour lesquels Saint-Pierre et Miquelon constitueraient un entrepôt. De là, d’autres navires les achemineraient au Canada suivant la demande et le fret de retour serait composé de bois et de farine, dont l’approvisionnement en provenance de la mer Noire est alors interrompu en raison de la guerre. De surcroît, Belvèze réitère ses observations sur l’intensité du commerce dans cette zone, favorisé par la faiblesse des droits de douane canadiens méconnus des négociants français, qui donneraient toute sa justification à une mission d’exploration.

 

Les observations de Belvèze ne révélaient pas un réel esprit pratique, car les morutiers de Fécamp ou de Saint-Malo ne pouvaient se transformer à loisir en agents du commerce international —d’autant moins qu’ils recevaient une prime du gouvernement pour la pêche— et l’archipel français isolé en hiver n’est pas très bien placé pour avoir des relations directes avec la partie la plus riche des colonies canadiennes de la Grande-Bretagne.10 Pourtant le ministre de la Marine Théodore Ducos en est enchanté, car il démontre le sens de l’initiative de ses marins, qui sont les premiers à montrer le drapeau et à aller toujours de l’avant ; il propose d’ailleurs à ses collègues une mission de Belvèze dans le Saint-Laurent durant la saison de pêche de 1855, qui serait facilitée à la suite des « témoignages de sympathie votés par le Parlement canadien à l’armée de Crimée ».

Le ministre Ducos, puis Ferdinand Hamelin son successeur (le premier meurt le 18 avril 1855), attendent une réponse rapide, mais ils sont déçus, car Édouard Drouyn de Lhuys, ministre des Affaires étrangères, doute fort de la nécessité d’une telle mission et son collègue du Commerce Eugène Rouher n’est pas beaucoup plus enthousiaste.

 

Les deux ministres s’étonnent d’abord de la naïveté de Belvèze, qui a ignoré la régularité des informations commerciales transmises par les agents consulaires sur le Canada, car ils n’ont rien appris d’important dans son ambitieux rapport. Pourtant, la réticence de Drouyn de Lhuys est essentiellement politique, car il pose le problème de l’opportunité d’un tel déplacement d’un navire français. Le 6 mars, le ministre des Affaires étrangères répond à son collègue de la Marine : il reconnaît la valeur de son projet, il sait que « ce n’est pas de nous que l’Angleterre se préoccupe pour l’avenir du Canada » et que l’accueil de la population serait « excellent », mais il ne voit pas de raison suffisante pour « montrer notre pavillon au Canada pour la première fois depuis que nous avons perdu ce pays à la suite d’une guerre malheureuse et mal conduite ». Les motifs et les intérêts pour expliquer qu’un bateau de guerre apparaisse à Québec et Montréal devraient être « aussi évidents que considérables », or l’insignifiant commerce de la France dans la vallée du Saint-Laurent ne nécessite ni la protection ni la surveillance d’un bâtiment de la marine impériale, donc la mission paraît pour le moins prématurée.11

 

La politique définie par Drouyn de Lhuys révèle le poids de l’histoire, qui pèse sur tout gouvernement : la perte d’une colonie n’est pas chose anodine et la France ne doit pas risquer sans véritable raison la moindre atteinte à son prestige.12

 

Finalement, le ministre de la Marine emporte la décision, en insistant sur la portée strictement commerciale d’une mission destinée seulement à l’ouverture d’un nouveau marché, et sur la nécessité de profiter de la bonne entente entre la France et l’Angleterre. Drouyn de Lhuys compte sur « le tact et le bon esprit » de Belvèze pour que l’apparition du pavillon français à Québec ne justifie « aucune des appréhensions qu’il était de mon devoir de ne pas vous dissimuler ». La politique est soigneusement écartée, pourtant la venue d’un bâtiment français à Québec et Montréal est considérée comme exceptionnelle ; il y a là une contradiction difficile à résoudre.

 

Il reste désormais à obtenir l’accord d’Eugène Rouher, dont les services se moquent des idées avancées par Belvèze sur l’utilisation des navires de pêche pour le commerce, d’autant qu’ils connaissent le détail du tarif douanier canadien. Pourtant, le ministre du Commerce se rallie à la mission et fixe trois objectifs précis à Belvèze : l’établissement d’un consulat à Montréal, l’allégement des droits de douane sur certaines exportations françaises, et l’entrée en franchise au Canada des morues françaises. Il précise bien que le capitaine de vaisseau n’aura aucune attribution diplomatique.

 

La feuille de route définitive du 28 avril, dont Belvèze ne prend connaissance qu’une fois arrivé à Terre-Neuve13, reprend les opinions avancées par les trois ministres avec insistance sur le seul commerce : « il convient, vous le comprendrez sans peine, que vous conserviez une attitude pleine de réserve et que vous vous teniez en garde contre toute manifestation à laquelle les autorités britanniques ne devraient prendre aucune part. »

 

Le Foreign Office n’est pas averti de cette décision par le Quai d’Orsay, car sa portée reste locale et sa signification n’a rien de politique. Le consul général de France à Londres se dit surpris de n’avoir pas été tenu au courant de la mission, mais il transmet à Paris des coupures de presse canadiennes, qui expriment « les sentiments que notre ancienne colonie conserve pour la France et son gouvernement » et indiquent que l’arrivée prochaine de La Capricieuse a « déjà donné lieu à des démonstrations qui promettent à M. Belvèze un accueil sympathique ».

 

 

La réalité de la mission

 

La Capricieuse à son départ du port de Québec, le 27 aout 1855
La Capricieuse à son départ du port de Québec,
le 27 aout 1855
Division des Archives de l’université
de Montréal (1FP,6348)
Droit d’auteur : Domaine public 

Du 13 juillet au 25 août, le séjour de Belvèze au Bas-Canada et au Haut-Canada s’est remarquablement déroulé ; aucune anicroche, aucun incident diplomatique n’est survenu, en dépit des tensions internes de la société canadienne. Comment ce capitaine de vaisseau, excédé des brumes de Terre-Neuve, ne serait-il pas séduit et enchanté par l’accueil que lui réserve la population canadienne-française ? Le drapeau tricolore flotte sur tous les édifices et les maisons, les habitants de Québec se précipitent pour parler aux marins de La Capricieuse, alors que leur commandant va de bals en réceptions, de cérémonies officielles — banquet du gouverneur-général — en inauguration — celle du monument des Braves sur les Plaines d’Abraham, en l’honneur de Montcalm et de Wolfe, retardée pour que Belvèze puisse y participer.

 

La presse est pour une fois unanime à célébrer l’élégance et la haute tenue des multiples discours de Belvèze ; tout au plus, à Montréal, les partisans « rouges » de l’annexion aux États-Unis interpellent les « Bleus » à propos des éloges adressés à la sagesse britannique par une France dictatoriale, mais cette controverse reste cantonnée dans de rares journaux.

 

Le 2 août 1855, le Times de Londres donne sa version de l’évènement, en tant que quotidien britannique semi-officiel, avec en titre : « Réception d’une frégate française à Québec » :

 

« Les historiens du Canada placeront les événements d’hier parmi les faits mémorables des annales de ce pays. Depuis la Conquête, il y a 96 ans, aucun navire de guerre français n’avait jeté l’ancre sous les fortifications de Québec, et certainement aucun n’avait jamais été reçu avec plus d’enthousiasme que La Capricieuse l’a été ; elle est arrivée un peu avant 7 heures hier soir, après une navigation de 9 jours depuis Sydney… »14 

 

L’article poursuit sur la réception du navire et de son équipage sous une pluie battante : il est salué par 21 coups de canon alors que le drapeau français a été hissé sur la citadelle de Québec ; le gouverneur-général a reçu en personne le commandant Belvèze, comme le maire de la ville l’a fait et la municipalité avait voté un budget de 1000 $ pour les festivités auxquelles les habitants ont été conviés en grand nombre. Un bal respectant la tempérance a eu lieu sur la terrasse Durham, pour un ticket d’entrée de 10 cents.

 

Ces quelques développements sont significatifs : les autorités canadiennes étaient très conscientes du caractère exceptionnel de l’événement, mais l’ont relégué sur un plan historique, bien révolu. Elles ont pris les devants et ont fait les choses en grand pour la réception du navire et des officiers d’un pays allié de la métropole, en prenant bien soin d’y associer la population. Comme pour désamorcer les risques d’explosion populaire ou d’échauffourées et, finalement, ces efforts n’ont pas si mal réussi, au moins sur le moment. Les troubles révolutionnaires de 1837 étaient dans toutes les mémoires, comme les émeutes de 1849, à propos des relations avec les États-Unis, mais, cette fois, les citoyens ne peuvent rien reprocher à un gouvernement qui fait si bien les choses.

 

La période est d’ailleurs à l’apaisement des tensions tant au Canada que dans les rapports franco-britanniques et tous les éditoriaux célèbrent les deux mères patries de la population ; la France pour le passé, l’Angleterre pour le présent.

 

Belvèze est rapidement conscient de l’extraordinaire événement dont il est l’involontaire héros, reçu « non comme un simple capitaine de vaisseau de la marine impériale, mais comme le représentant de l’alliée de l’Angleterre », d’ailleurs sa mission a obtenu « l’approbation franche et cordiale des autorités anglaises ». Dans toutes ses interventions, il prend soin d’honorer les vertus du régime britannique au Canada, même quand il s’adresse aux membres de l’Institut canadien, alors qu’il est de retour à Montréal après sa tournée dans le Haut-Canada : « Les Canadiens, Messieurs, seuls dans l’Amérique du Nord, ont toujours prétendu à une nationalité distincte, ils ont soutenu pour elle une glorieuse lutte, ils ont senti, à bon droit selon moi, que la destinée des peuples n’était pas tout entière dans le perfectionnement de la vie matérielle et qu’elle se manifestait aussi par les travaux de l’esprit.

 

L’institut canadien a la mission de conserver cette tendance toute française, et de l’autre côté de l’Atlantique, dans la patrie de Descartes, de Racine, de Bossuet, comme dans celle de Milton, Shakespeare, de Newton, on y applaudit et on vous y encourage. »15

 

Les rapports intérimaires que Belvèze adresse au ministre de la Marine sont très bien reçus et des extraits du premier d’entre eux en sont publiés dans le Moniteur universel (journal officiel de l’Empire) : « La ville de Québec vient d’assister à l’un de ces étonnants spectacles qui signalent une époque et dont l’histoire conserve un impérissable souvenir. »16 Le rapport consacré au passage dans le Haut-Canada est très optimiste, car l’alliance entre les deux grands pays a été célébrée là sans aucune ambiguïté : « Aux citoyens de Toronto, Une des plus précieuses conséquences de cette politique doit être de rendre plus actifs et plus utiles les rapports entre les peuples soumis aux deux couronnes. C’est la pensée qui a inspiré à l’Empereur la mission que je remplis. Il a voulu, malgré les préoccupations de la guerre, rétablir entre les deux pays, autrefois unis par d’autres liens, des relations commerciales directes, libres et spontanées, et c’est pour préparer ces relations que je suis venu au Canada. J’ai suivi avec soin les belles lignes de navigation qui rattachent à la mer les parties les plus éloignées de votre vaste contrée, et, dans cette visite, je me suis convaincu que dans ce beau pays, habité par les fils des nations les plus industrieuses du monde, des progrès immenses s’étaient accomplis sans que l’Europe en eût connaissance exacte ; entre le Canada et la France l’échange se fait, mais par des intermédiaires… Faisons directement cet échange, il deviendra aussi profitable pour les deux nations…. »17

 

Le capitaine de vaisseau s’est montré beaucoup plus intéressé par les réalisations modernes du pays — chemins de fer, ponts, canaux — que par le pittoresque d’un village indien et de la descente en canot d’écorce d’une portion du Saint-Maurice et il prend soin de célébrer les progrès industriels du pays.

 

Belvèze est satisfait d’avoir réussi à désamorcer les effets de «  l’esprit d’antagonisme toujours existant entre les races, les intérêts et les religions différents du Haut et Bas-Canada » et d’avoir résisté à son succès, sans succomber à la vanité, parfois avec l’adresse d’un « équilibriste ». Dans sa correspondance privée, il ne cache pas son émotion devant une société de langue française seule capable de résister à l’américanisation rampante, mais il ne s’agit en rien de l’ébauche d’un projet politique. D’ailleurs sur le fond, il tient à peu près le même discours dans les deux régions du Canada avec toujours le rappel de l’alliance anglaise.

 

Son analyse finale évoque les promesses qui lui ont été faites de faciliter le commerce avec la France, le Parlement canadien pourrait accéder aux demandes françaises d’abaissement des droits et envisager même un véritable traité de réciprocité, analogue à celui qui a été signé avec les États-Unis l’année précédente, à condition que la France fasse un effort au sujet des bois et navires canadiens. Le ministre Rouher est enchanté de ces perspectives et juge que « le commerce français pourrait utilement établir des relations directes avec cette possession anglaise ».

 

Toutefois, ces progrès ne se réalisent pas, comme si la mission de La Capricieuse avait été un coup pour rien : le consulat de Montréal n’est pas créé aussitôt, il faut attendre quatre ans, et les promesses commerciales ne sont suivies d’aucun effet concret. Les rares avancées ne se produisent qu’après 1860, à la suite des efforts acharnés du consul Gauldrée-Boilleau.

 

Les contacts noués par Belvèze n’ont sans doute pas été inutiles, mais, par rapport aux buts initiaux uniquement commerciaux, les résultats atteints par cette mission ne pèsent pas lourd et auraient pu être oubliés. Pourtant, dans la mémoire populaire au Québec et dans les ouvrages historiques, la première apparition du drapeau français dans le Saint-Laurent depuis 1759 marque la réelle reprise des relations entre la France et le Canada.

 

 

Une première leçon de la mission de La Capricieuse

 

Un paradoxe apparaît clairement entre le succès immédiat obtenu par Belvèze, et sur lequel lui-même n’a jamais eu le moindre doute, et les très grandes précautions prises par les ministres des Affaires étrangères, qui ont succédé à Drouyn de Lhuys, en adoptant exactement les mêmes positions que ce dernier.

 

Alors que les ministres Hamelin et Rouher n’ont pas tari d’éloges sur les résultats de la mission et ont souhaité que ces fruits soient confirmés rapidement par de nouvelles initiatives, Drouyn de Lhuys est resté totalement muet et s’est bien gardé d’accélérer le dossier canadien.

 

La responsabilité du capitaine de vaisseau Belvèze n’est nullement en cause. Rentré à Sydney, le 29 août 1855, il écrit à l’un de ses amis : « Nul n’est prophète en son pays et pendant que l’on crie ici « heureuse la France qui possède de tels hommes », chez nous on fait des fournées de contre-amiraux et on me laisse de côté… Qu’y faire ? » 18 Une fois de retour en France, il peste contre l’injustice qui lui est faite en lui refusant sa promotion et met dans la balance son succès de l’été. Le gouverneur-général Head transmet à Londres ses très bonnes impressions sur cet officier — il l’a jugé intelligent, fin parleur et sincère admirateur du régime britannique — ; le Colonial Office ne manifeste pas plus son sentiment qu’il ne l’avait fait lors de la genèse de la mission de La Capricieuse. Le gouvernement de Sa Gracieuse Majesté n’a jamais redouté les initiatives françaises au Canada, qui demeure d’un intérêt très secondaire dans les relations entre les deux pays. Belvèze n’a pas eu d’avancement en raison de ses convictions royalistes et de ses constantes récriminations transmises souvent directement à l’empereur en court-circuitant ses supérieurs — ce qui ne plaît guère dans l’armée — et il est mis à la retraite à la limite d’âge de son grade en 1861, sans avoir obtenu le grade convoité de contre-amiral.19

 

Le gouvernement britannique, comme les autorités canadiennes, souhaitent que la mission de Belvèze débouche sur des résultats concrets, que ce soit la création d’un consulat ou le traité de commerce et ils le font savoir. Or la France ne bouge pas et, quelques années plus tard, la conjoncture internationale n’est plus aussi favorable qu’elle aurait pu l’être durant la guerre de Crimée.

 

Quand en 1859, le consul Henri-Philippe Gauldrée-Boilleau arrive à Québec comme premier consul de France, il exprime l’intention de « consolider les bonnes impressions qui dataient de la mission du commandant Belvèze, que sa présence a réveillées », mais le ministère lui recommande « la plus extrême circonspection » et ne lui donne aucune réponse à sa proposition d’une importante réception d’accueil pour rendre celle qui avait été réservée en 1855 à La Capricieuse. Dans les mois qui suivent, le consul parvient à trouver son équilibre en définissant soigneusement son statut, dans les aléas de la politique canadienne et britannique.

 

En 1868 pourtant, le commandant Desvarannes, qui commande Le D’Estrées dans sa mission dans le Saint-Laurent — la première depuis 1855 — , à la mémoire longue :

 

« Je partais pour Québec plein d’inquiétude sur la réception que les Canadiens feraient au D’Estrées. Je craignais l’enthousiasme irréfléchi des habitants. Je me reportais naturellement au voyage de la Capricieuse en 1855 sous le commandant Belvèze et je savais qu’à cette époque l’arrivée d’un bâtiment de guerre français, le premier depuis la cession, avait causé une émotion embarrassante pour les deux nations. »20

 

L’officier de marine, fort de la tradition hostile à la « perfide Albion », voit la main de Londres dans le retard pris dans l’envoi d’un nouveau navire. Sur ce point, il se trompe car c’est au Quai d’Orsay que règne un sentiment d’inquiétude et non sur les bords de la Tamise : le ministre Drouyn de Lhuys et ses successeurs n’ont absolument rien à reprocher à Belvèze, mais ils ont tiré de son rapport de mission la conviction que l’accueil qu’il a reçu — et dont il n’était nullement responsable — a été celui d’un représentant officiel de la France et non d’un capitaine de vaisseau chargé d’une mission uniquement commerciale. Les preuves abondent : des milliers de spectateurs quand il prend la parole, le drapeau tricolore qui est partout arboré, La Capricieuse à quai à Québec a été visitée sans discontinuité, les plus hautes autorités civiles et religieuses ont fastueusement invité Belvèze, l’armateur Baby a refusé tout paiement pour l’acheminer avec son entourage jusqu’à Montréal et retour. Dans le Haut-Canada, des officiels peu au fait du protocole officiel et qui suivent ce qui s’est passé à Québec et Montréal l’ont reçu comme le véritable ambassadeur d’un pays allié.

 

Devant ces débordements d’enthousiasme, Belvèze est resté serein et a su garder sa place, mais que se serait-il passé s’il avait cédé à l’ambiance et proclamé des promesses intenables au regard de la politique française, ou si un improbable meneur canadien-français s’était levé pour enflammer un peu plus la foule autour du drapeau français. De tels éclats ont peu de chance de se produire, en raison de la discipline des visiteurs et de l’état de l’esprit public canadien, mais ne peuvent être totalement écartés, tellement sont puissants et imprévisibles les mouvements d’une foule enthousiaste.

 

Le ministère sait très bien que l’Angleterre n’a aucune crainte à l’égard de la position canadienne de la France, mais si des manifestations nationalistes se produisaient de façon récurrente, si la France y était associée, si un officier de marine ou un consul se laissait emporter, comment les « susceptibilités britanniques » ne seraient-elles pas éveillées de manière dommageable. Aussi, la consigne permanente du ministère des Affaires étrangères est d’éviter que soit tendu à nouveau ce piège, d’autant que la France n’a pas la moindre intention politique envers le Canada : elle y a renoncé depuis son alliance avec les États-Unis en 1778.

 

Dans ce contexte, la mission de La Capricieuse sonne comme un avertissement, qui explique que le Quai d’Orsay ait décidé de freiner l’enthousiasme des Canadiens francais en retardant la nomination d’un consul — en dépit de l’approbation des autorités coloniales exprimée à Québec comme à Londres dès 1855 — , puis en lui réitérant avec insistance des consignes explicites de prudence, en demandant la plus grande circonspection aux officiers de marine — souvent poussés dans le dos par leurs supérieurs moins diplomates — et à tous les visiteurs. En 1862, la promotion de Gauldrée-Boilleau au rang de consul général de France est l’occasion de renouveler ces appels modérateurs :

 

« Le cabinet de Londres y a mis cette condition qu’il n’en résulterait en aucune façon pour vous le droit d’exercer d’autres fonctions que celles qui entrent dans les attributions ordinaires d’un consul dans les possessions britanniques. Cet indice de la facilité avec laquelle peuvent être éveillées les susceptibilités du gouvernement de la Reine vous fera comprendre la nécessité de vous écarter d’autant moins dans vos rapports avec les autorités coloniales, de la ligne de conduite prudente et réservée qui vous a été tracée par mon département. »21

 

Le gouverneur-général remercie même le consul de sa réserve, car il lui a ainsi évité des « embarras » et, en 1860, le représentant de la France n’obtient pas l’autorisation du Quai d’Orsay d’inaugurer un monument de la Société Saint-Jean-Baptiste sur les Plaines d’Abraham, simple complément à celui des Braves.

 

La mission de Belvèze ne marque pas tant la reprise des relations officielles entre la France et le Canada qu’elle ne manifeste l’extrême prudence du Quai d’Orsay dans leur mise en œuvre et dans leur développement ; car, de 1855 à 1960, la priorité de la France a été l’alliance avec la Grande-Bretagne. Par ailleurs, si la perte de la Nouvelle-France par la France ne pouvait pas être oubliée, elle ne pouvait pas donner lieu à une quelconque célébration, bien qu’elle ait été vengée par l’humiliation de la Grande-Bretagne lors de la naissance des États-Unis, à laquelle la France a prêté la main.

 

Et cette prudence a été transmise de régime en régime : les Troisième et Quatrième Républiques se sont comportées comme le Second Empire au sujet du Canada.

 

 

Notes

  1.  Du nom de Pierre Gassend, dit Gassendi (1592-1655), mathématicien et astronome, critique de Descartes, il tente de concilier la morale épicurienne avec le christianisme. Il est renommé dans la marine pour son expérience de 1642 qui vérifie la notion d’inertie en faisant tomber un boulet du haut du mat d’une galère lancée à pleine vitesse dans la baie de Marseille.
  2.  Jacques Portes, « La Capricieuse au Canada », RHAF, vol. 31, n°3, décembre 1977, 351-370.
  3.  Les archives du Foreign Office sont très claires sur ce point : le Canada n’y tient aucune place, alors que les échanges entre la France et la Grande-Bretagne sont quotidiens au sujet de la Crimée.
  4.  Lord Palmerston (1748-1865) a été ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne de 1830 à 1841, puis de 1846 à 1851, avant d’être Premier ministre de 1855 à 1858, et de 1859 à 1865.
  5.  Le dossier personnel de Belvèze au ministère de la Marine précise clairement qu’il n’a pas la particule que beaucoup d’auteurs lui attribuent, pour lui donner meilleure allure. Né en 1801 à Montauban, Belvèze vient d’une vieille famille languedocienne, l’un de ses ancêtres a été au XIVe siècle sergent d’arme à Montréal d’Aude.
  6.  Cité par Virginie Adane, « La Galerie Indienne de George Catlin en France en 1845», mémoire de maîtrise sous la direction de Jacques Portes, université Paris 8, 2004.
  7.  Ronald Rompkey, Terre-Neuve. Anthologie des voyageurs français, 1814-1914, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2004.
  8.  Archives nationales (A.N.), Marine BB4 685, Belvèze à Daries (sans date). Daries est chef du 2ème bureau du ministre chargé du mouvement des forces navales, des opérations maritimes, des instructions aux officiers.
  9.  Conservé aux A.N., ce rapport a également été publié à partir du 4 septembre 1855 dans la Minerve de Montréal.
  10.  Saint-Pierre et Miquelon connaîtront une brève période de prospérité dans les années 1920, en temps qu’entrepôts des vins et alcools français que les contrebandiers américains venaient chercher, tellement la demande était forte en raison de la prohibition qui régnait aux États-Unis.
  11.  A.N. - Marine BB3 690, f° 69-71, 6 mars 1855, Drouyn de Lhuys à Ducos.
  12.  Le ministre évoque une autre colonie perdue, Saint-Domingue, visitée par des navires français : ils s’y rendent « non sans inconvénient », mais l’importance du commerce justifie leur présence.
  13.  C’est de là qu’il demande et obtient l’autorisation de substituer La Capricieuse au Gassendi, initialement prévu.
  14.  La traduction est de J. Portes : le distingué journaliste ne connaît pas les types de navire et prend une corvette, même mot en anglais, pour une frégate ; il s’agit d’un article du Québec Morning Chronicle choisi au milieu de beaucoup d’autres par le grand quotidien londonien, qui n’a pas de correspondant sur place.
  15.  Belvèze est particulièrement satisfait de cette intervention, car il la redoutait : « j’ai dû accepter un banquet de l’institut canadien que j’avais une première fois refusé ; je craignais de trouver dans cette nombreuse réunion d’hommes jeunes et ardents des tendances à aborder des questions politiques, et je n’ai voulu accepter qu’à la condition qu’on resterait dans les limites des idées littéraires et artistiques qui sont le but ostensible de l’institution. Tout a été parfait et convenable, et le gouverneur général m’a même su gré d’avoir saisi l’occasion de ramener cette institution à son véritable caractère. » Commandant de Belvèze, Lettres choisies dans sa correspondance, 1824-1875. (Bourges : Pigelet et fils & Tardy, 1882,133)Le Moniteur universel, 19 août 1855.
  16.  Le Moniteur universel, 19 août 1855.
  17.  Commandant de Belvèze, Ibidem, 145
  18.  Commandant de Belvèze, Ibidem, 151.
  19.  Le dossier personnel de l’officier est sans aucune ambiguïté sur la fin de sa carrière. Il meurt en 1875 à Toulon, sans avoir été promu amiral.
  20.  A.N. – Marine BB4 877, 15 septembre 1868, Rapport de Desvarannes.
  21.  Archives du ministère des Affaires étrangères, C.C.Q. 1, f° 460, 9 juin 1862. En l’occurrence, le ministre évoque l’interprétation ambiguë du statut de consul par les autorités anglaises, car pour elles les consuls ne sont pas fonctionnaires d’état, mais le statut précis de Belvèze avait été discuté lors de sa mission.

Les lecteurs peuvent également consulter l’article de cet auteur consacré à La Capricieuse dans l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française.

Élites et institutions :
nouvelles perspectives sur la Nouvelle-France et son héritage

 

 

par Gilles Durand

 

Ollivier Hubert, vice-président de l’IHAF, Alain Beaulieu, président, Michel Bock, secrétaire-trésorier
De g. à d. Ollivier Hubert, vice-président de l’IHAF,
Alain Beaulieu, président, Michel Bock, secrétaire-trésorier
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand
Le 63e congrès de l’Institut d’histoire de l’Amérique française (IHAF) s’est tenu à l’Université d’Ottawa du 21 au 23 octobre 2010. 64 conférenciers prennent la parole sur le thème de la rencontre « Élites et institutions ». Toutes les périodes de l’histoire de l’Amérique française sont abordées. Pour le Régime français, intendants, médecins-botanistes, coureurs de bois, loisirs élitaires, notaires, seigneurs et relations avec les autochtones forment autant de sujets traités. Dans le présent compte rendu, nous retenons les trois derniers, particulièrement intéressants en ce sens qu’ils ouvrent de nouvelles perspectives de recherche sur la Nouvelle-France et son héritage.

Le notaire : un professionnel gagnant dans la foulée de la Conquête

Au lendemain de la Conquête, le droit civil français est accepté dans les faits et, une dizaine d’années plus tard, juridiquement par l’Acte de Québec de 1774. Reconnaissant la maîtrise des lois françaises par les notaires en place, les juges britanniques transfèrent plusieurs litiges aux notaires pour arbitrage plutôt que de les trancher au tribunal. Les notaires jouent également le rôle de conseillers devant les tribunaux, servent comme greffiers et exercent même la fonction de juge dans les tribunaux de juridiction inférieure. À compter des années 1784-1785, ils sont en mesure de cumuler les charges, étant admis à l’exercice d’une nouvelle profession, celle d’avocat, dont la pratique avait été interdite en Nouvelle-France. Désormais, les notaires améliorent leur situation matérielle, gagnent en prestige par leurs connaissances et deviennent des intermédiaires incontournables entre le gouvernement et la population. Les lecteurs intéressés sont invités à consulter également le compte rendu du colloque, tenu les 28 et 29 septembre 2010, paraissant sous le titre « Conquête et lendemains de conquête… » dans le présent bulletin. Lors de cette activité, le conférencier, David Gilles, a développé le même thème.

David Gilles
David Gilles
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

 

 

La seigneurie dans la vallée du Saint-Laurent avant et après 1854 : manifestation et persistance du pouvoir du seigneur

 

Benoît Grenier, Élisabeth Martineau Montminy, Béatrice Craig, Alain Laberge
De g. à d. Benoît Grenier, Élisabeth Martineau-Montminy,
Béatrice Craig, Alain Laberge
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

L’historiographie traditionnelle a habitué, pour les 17e et 18e siècles, à aborder la réussite des seigneurs et par ricochet leur ascendant sur leurs censitaires, en utilisant deux mesures : la population habitant la seigneurie de même que les statistiques de la production agricole de l’ensemble des terres qui la composent. Dans une communication sur le sujet, l’historien Alain Laberge, professeur à l’Université Laval, présente une nouvelle approche. En limitant l’étude et l’analyse aux propriétés du seigneur comme telles, c’est-à-dire son domaine et la portion de terre additionnelle qu’il se réserve très souvent, il découvre des seigneurs qui mettent le temps et les efforts nécessaires pour mettre en valeur leur seigneurie. Ils défrichent et ensemencent de grands espaces, y construisent des bâtiments bien adaptés et diversifiés, tels maison, grange, étable, porcherie, poulailler, et mettent à la disposition de la communauté environnante des équipements de service capables de répondre à ses besoins. Le déplacement du champ d’observation permet de conclure que les seigneurs sont prospères et en mesure de s’insérer dans le mouvement de commercialisation des grains lorsqu’il apparaît au 18e siècle. Le conférencier conclut en plaidant pour une réinsertion de la dimension économique dans l’étude de la seigneurie et en signalant son tout récent ouvrage, disponible en livre numérique seulement, préparé avec collaborateurs.

 

De son côté, Benoît Grenier, historien et professeur à l’Université de Sherbrooke, reprend la recherche là où Alain Laberge l’abandonne, tout particulièrement après 1854, alors que la Chambre d’assemblée de la Province du Canada met fin au régime seigneurial. La question ne manque pas d’intérêt pour la connaissance du pouvoir des seigneurs. Le régime seigneurial est aboli comme mode de concession des terres, mais non les droits acquis par les seigneurs sous son empire, soit le domaine et les terres réservées de même que la rente que les censitaires doivent lui verser et dont ils peuvent se libérer par commutation. Dans les faits, les censitaires continuent à payer la rente aux seigneurs jusqu’en 1941. Une loi votée par l’Assemblée législative en 1935 renferme des dispositions pour libérer les censitaires de la rente et pour en transférer la perception finale aux municipalités. Quel impact le maintien des droits acquis des seigneurs durant près de 100 ans après l’abolition du régime a-t-il eu sur la paysannerie et sur le pouvoir socioéconomique des seigneurs? C’est là une des questions à laquelle le projet de recherche que le conférencier mène, tentera de répondre.

http://www.usherbrooke.ca/histoire/nous-joindre/personnel-enseignant/grenier-benoit/#c22395

 

Voir aussi un article du même auteur dans l’Encyclopédie du patrimoine culturel de l’Amérique française, disponible en version numérique pour le moment, sous le titre « Régime seigneurial au Québec »

 

La prise de possession pacifique du territoire par le biais du métissage

Emma Anderson, Dominique Deslandres, Mathieu Chaurette, Gilles Havard
De g. à d. Emma Anderson, Dominique Deslandres,
Mathieu Chaurette, Gilles Havard
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Une certaine historiographie a habitué à l’idée d’achat des terres des autochtones quand ce n’est pas à une conquête violente du territoire du côté américain. Au contraire, la France implantée sur un vaste espace et pouvant compter sur une population très restreinte, prend possession du territoire d’une façon pacifique, sans recourir à la force, par des ententes non écrites avec les premiers occupants. Dominique Deslandes, spécialiste de la question religieuse et professeure à l’Université de Montréal, démontre que le pouvoir royal ne poursuit pas moins un projet de déploiement de son empire; il tente d’y intégrer un vaste espace colonial sur lequel il pourra régner. D’abord, par une prise de possession solennelle, une cérémonie suffisante aux yeux des Français pour transférer l’autorité du souverain sur le nouveau territoire : le salamalec se métamorphose en appropriation par le souverain. Ensuite, la conversion des autochtones par le travail des missionnaires à l’intérieur du continent et la création de réductions ou réserves en bordure d’espaces habités dans la vallée du Saint-Laurent, constituent un autre pas vers l’acquisition de la nationalité française; en effet la naturalisation suit la conversion. Enfin, le beau projet de Champlain « Nos fils marieront vos filles », vise à franciser le territoire au même rythme que la francisation de la population : en effet l’Amérindienne convertie qui contracte union avec un Français, multiplie les sujets du roi en donnant naissance à des enfants; en même temps, elle étend le royaume de France, car la dot qu’elle est susceptible d’apporter, par exemple une terre, tombera dans le patrimoine familial et en bout de piste dans le royaume de France. Ce qui appartient à un sujet du roi relève de ce dernier.

 

Hommage posthume à Jean-Pierre Wallot

Le 63e congrès est également l’occasion de rendre un hommage posthume à Jean-Pierre Wallot qui fut chercheur, professeur d’histoire et à la tête des Archives canadiennes. Par ses recherches, ses publications, son enseignement et son engagement, il contribue à la mise en valeur des sources sur lesquelles l’histoire de la société bas-canadienne s’appuie. Il donne aussi une interprétation nouvelle de son évolution au tournant du 19e siècle. Par ses activités et par les idées qu’elle partage, cette société fait preuve d’ouverture d’esprit et d’intégration dans l’économie nord-atlantique, tout le contraire d’une société fermée comme certains ont pu l’affirmer.

La mémoire de frère André est aussi celle de la
Congrégation de Sainte-Croix
 

 

Frère André, un Saint parmi nous
Frère André. Un saint parmi nous,
par Françoise Deroy-Pineau, Montréal,
Éditions Fides, 2010
par Gilles Durand

 

Frère André

De g. à d. Père Jean-Yves Garneau, auteur, Françoise Deroy-Pineau et Robert Julien
De g. à d. Père Jean-Yves Garneau, auteur,
Françoise Deroy-Pineau et Robert Julien
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

La canonisation de frère André, religieux de Sainte-Croix, le 17 octobre 2010, donne lieu à plusieurs activités qui lui sont consacrées en cours d’année. Les Éditions Fides rééditent un ouvrage de la socio-historienne Françoise Deroy-Pineau, déjà paru en 2004, à l’intention des lecteurs désireux de découvrir ou de redécouvrir le saint homme, sous le titre Frère André, un saint parmi nous; comme frère André n’a pas laissé d’écrits, l’auteure puise aux témoignages de ses contemporains pour préparer cet ouvrage de référence incontournable. Le 8 août 2010, en compagnie de l’illustrateur Robert Julien, celle-ci lance aux Éditions Médiaspaul, sous le titre Frère André, le saint de l’Oratoire, une publication destinée cette fois aux enfants, racontant l’histoire de cet homme exceptionnel. Dans le cadre des Belles Soirées et matinées de l’Université de Montréal, elle donne aussi, le 24 septembre, une conférence sur la vie du religieux.

 

La Congrégation de Sainte-Croix

Toutes ces activités présentent un intérêt à plus d’un titre. Elles font connaître le personnage et l’œuvre à laquelle il est associé, la construction de l’Oratoire Saint-Joseph du Mont-Royal. En même temps, elles rappellent la mémoire de la Congrégation de Sainte-Croix dont fait partie frère André et dont certains membres ont marqué son parcours. L’auteure Françoise Deroy-Pinau raconte, par exemple, comment le père français, Narcisse Hupier, a joué un rôle important dans l’entrée de frère André dans la congrégation en 1872 (Frère André, un saint parmi nous, p. 44-46). Cette communauté de religieux, prêtres et frères, est fondée par le père Basile Moreau au Mans en Sarthe en 1837. Elle s’implante à Montréal à compter de 1847. Elle est l’initiatrice de plusieurs projets, entre autres la fondation du Collège Notre-Dame en 1869, de l’Oratoire Saint-Joseph-du-Mont-Royal en 1904 et de Fides en 1937, une maison d’édition d’ouvrages dont plusieurs enrichissent la mémoire franco-québécoise – par exemple une autre de leur édition récente Les Sulpiciens de Montréal : une histoire de pouvoir et de discrétion 1657-2007.

 

Consultez plus d'informations sur le congrégation de Sainte-Croix et sur les éditions Fides :

http://www.ste-croix.qc.ca/accueil/fondation_france.php

http://www.ste-croix.qc.ca/spiritualite_mission/mission.php

http://www.ste-croix.qc.ca/presence_canadienne/qc_ge_college.php

http://www.ste-croix.qc.ca/presence_canadienne/qc_ge_fides.php

http://www.fides.qc.ca/presentation.php

Connaissez-vous les Amis et propriétaires
de maisons anciennes du Québec (APMAQ) ?

 

 

par Gilles Durand

 

L’association Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec

 

Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec

Crédit : APMAQ

 

L’association Amis et propriétaires de maisons anciennes du Québec célèbre en 2010 ses 30 ans d’existence. L’association a pour mission de développer les connaissances sur les maisons anciennes, leurs caractéristiques architecturales, leur valeur patrimoniale et identitaire, les techniques traditionnelles de leur construction, la protection de leur environnement. Elle intervient également pour leur préservation et leur mise en valeur. L’association réalise son mandat en ouvrant ses portes au plus d’adhérents possible, en resserrant les liens entre ceux-ci par un bulletin de liaison trimestriel La Lucarne et par un site Web, de même qu’en travaillant en partenariat avec le réseau associatif. Le bulletin La Lucarne fait connaître entre autres des expériences déjà réalisées.

http://www.maisons-anciennes.qc.ca

Courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

 

La Fondation maisons anciennes du Québec

Pour réaliser ses objectifs, l’association s’appuie également sur une fondation née à son initiative, la Fondation maisons anciennes du Québec. Parmi les activités de celle-ci, mentionnons la mise à la disposition des organismes patrimoniaux et des écoles, d’un guide visant à éveiller l’intérêt des élèves de 6e année du primaire à l’architecture et au patrimoine bâti de leur milieu immédiat. Le guide en trois cahiers a pour but d’encadrer la visite sur le terrain, soit la préparation, la visite comme telle et le rapport d’activité à présenter en classe. Les intéressés peuvent obtenir un exemplaire du guide en s’adressant à la fondation localisée à la même adresse que l’association.

 

Partenaire de la mémoire franco-québécoise

Comme en témoigne son bulletin de liaison La Lucarne, l’APMAQ est un partenaire important du rappel de l’héritage que Québécois et Français ont en commun.

Une base de données sur les compagnies
franches de la Marine
Un complément indispensable au Répertoire des soldats des troupes de terre

 

 

par Gilles Durand

 

L’auteur de la base de données présentant son projet le 20 janvier 2010
De g. à d. Rénald Lessard et Jacques Olivier,
directeur de la revue L’Ancêtre
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Une base de données sur les compagnies franches de la Marine

La Société de généalogie de Québec commémore le 250e anniversaire de la bataille de Sainte-Foy, survenue en avril 1760, en faisant connaître les soldats des troupes relevant du ministère de la Marine qui ont combattu avec les troupes de Terre au cours de la décennie 1750 – les troupes de Terre sont présentes en Nouvelle-France uniquement entre 1755 et 1760. Pour l’occasion, la Société met en ligne gratuitement sur son site Web une base de données renfermant 5 773 inscriptions de noms de soldats et d’officiers accompagnés d’information sur leur parcours civil et militaire – les données pour l’île Royale seront intégrées dans les prochains mois. Préparée par Rénald Lessard, coordonnateur des services au public au Centre de Québec de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, la base puise aux mêmes sources que le répertoire des troupes de Terre, à l’exception des contrôles militaires dont elle pallie l’absence par les listes d’embarquement sur les navires et par les rôles de recrues et de soldats – pour chacune des entrées, le titre des documents d’où les éléments d’information sont tirés et la série à laquelle ils appartiennent sont indiqués. La base de données constitue une excellente contribution à la relation franco-québécoise. Les soldats des troupes de la Marine n’ont pas fait seulement que passer en terre d’Amérique, 597 se sont mariés et un certain nombre s’y sont établis. Québécois et Français ont la possibilité de connaître ceux de leurs ancêtres qui sont venus en Amérique lors de la guerre de Sept Ans pour y demeurer temporairement ou en permanence. La base ne peut constituer meilleur complément au Répertoire des soldats des troupes de Terre en Nouvelle-France.

 

Un mot de rappel sur le Répertoire des soldats des troupes de Terre en Nouvelle-France

Dans le cadre des événements commémoratifs de la guerre de Sept Ans, la Société généalogique canadienne-française publie en 2009 le Répertoire des soldats des troupes de Terre relevant du ministère de la Défense français, venus appuyer les troupes de la Marine au Canada et à l’île Royale entre 1755 et 1760. Préparé par une équipe dont Marcel Fournier assume la direction, le répertoire comprend 7 450 inscriptions de noms de soldats et d’officiers accompagnés d’éléments retraçant leur parcours civil et militaire – jusqu’à leur décès. Il renferme aussi une mise en contexte des affrontements. Il contient également, pour l’ensemble des données du dictionnaire, la description des grandes séries de documents du Régime français, conservées de part et d’autre de l’Atlantique, d’où elles ont été tirées, tout particulièrement les contrôles des soldats. La publication présente un grand intérêt pour l’aventure commune que Français et Québécois ont partagé. Les Québécois dont un des ancêtres est militaire, peuvent le retracer parmi les 605 soldats qui se sont mariés et établis au pays. Les Français de leur côté peuvent connaître leurs ancêtres qui ont tenté l’aventure en Amérique. Disponible pour le moment sur support papier, le répertoire sera accessible en ligne sous forme de base de données, dans un avenir rapproché, à la Maison de la découverte des plaines d’Abraham.

Les actes du colloque de septembre 2009
sur la guerre de Sept Ans

Une 3e publication dans la série Cahiers généalogiques

 

par Gilles Durand

 

La guerre de Sept Ans en Amérique 1755-1760
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Le 15 septembre 2009, un colloque sur la guerre de Sept Ans est tenu au Musée de la civilisation de Québec. Des spécialistes de différents horizons sont invités à faire le point sur cette guerre. Ils signalent les découvertes récentes découlant tant de l’étude d’archives moins connues tels les contrôles militaires que de nouvelles analyses de séries de documents déjà exploitées tels les journaux personnels de ceux impliqués dans le conflit comme acteurs ou témoins. De cette journée tenue à Québec et répétée quelques semaines plus tard au Château de Vincennes à Paris, résulte un ensemble de mises au point sur les causes, le déroulement des opérations, les acteurs tant français et britanniques que canadiens et amérindiens, et les conséquences de ce conflit d’envergure mondiale. Il revient à la Société généalogique canadienne-française d’avoir assuré la publication des exposés. La société et ses membres qui se sont impliqués méritent toute notre reconnaissance pour leur contribution à une meilleure connaissance de notre passé.

 

 

Pourquoi faire la lecture des actes du colloque, même après y avoir assisté?

 

Les conférences prononcées par les professeurs, chercheurs, historiens et généalogistes remettent en question certaines idées préconçues et certaines orientations : l’indifférence de la France pour sa colonie, les méthodes de guerre européennes importées en Nouvelle-France par les officiers français en même temps que les troupes qui les accompagnent, c’est-à-dire le combat en ligne en regard de la petite guerre d’embuscade pratiquée au pays; une attention tournée trop souvent dans le passé vers les héros plutôt que vers les soldats sur les champs de bataille et les habitants aux abords des champs d’opération; une commémoration des événements en fonction de nos perceptions et préoccupations actuelles plutôt qu’en fonction de la réalité passée, etc.

 

En contrepartie, les exposés mettent les participants en présence de données trop souvent ignorées : le contexte international dans lequel évolue la mère patrie, partagée entre le continent européen et sa colonie de la vallée du Saint-Laurent, désavantagée par une population de beaucoup moins grande en Nouvelle-France que dans les Treize Colonies au sud, handicapée par une marine du guerre qui ne peut toujours empêcher la capture des vaisseaux français transportant troupes, matériel et denrées vers l’Amérique; la collaboration et non seulement l’opposition entre les chefs de guerre nés en France et ceux enracinés au pays depuis plusieurs années; l’envoi de secours importants par la mère patrie en ravitaillement, soldats et recrues dont plusieurs se marient et s’établissent dans la colonie à la fin du conflit; le support loin d’être négligeable des miliciens canadiens et des Amérindiens, habitués à la guerre d’embuscade, en support à l’action sur le terrain des troupes réglées des ministères de la Défense et de la Marine.

 

 

Plus qu’un bilan des connaissances, une invitation à poursuivre des recherches plus fines

 

Les conférenciers lèvent le voile sur des pans de notre histoire peu exploités jusqu’ici : l’identité du simple soldat, son origine et son destin, les misères vécues par les populations civiles au cours de cette guerre; les orientations données aux activités de commémoration dans le passé. Tout n’est pas encore connu et écrit. Les sources auxquelles la recherche a déjà fait appel, méritent d’être revues selon ces nouvelles approches; les nouvelles ressources archivistiques exploitées et signalées au cours du colloque, tels les contrôles militaires et les listes d’embarquement, pourraient encore apporter en étant confrontées avec d’autres séries largement utilisées comme les archives civiles. Les activités de rappel du passé y gagneront en objectivité et éclaireront les fondements inébranlables de la relation franco-québécoise qui s’enrichit d’année en année.

 

 

Où se procurer les actes du colloque sur la guerre de Sept Ans

 

Les actes du colloque sont disponibles à la Maison de la Généalogie de la Société généalogique canadienne-française sous le titre La guerre de Sept Ans en Amérique 1755-1760 : Actes du colloque, 15 septembre 2009, Québec, Cahiers généalogiques 3, 2010, 154 p.

Internet : http://www.sgcf.com/

Courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.

Des guides touristiques d’hier à aujourd’hui

 

 

par Gilles Durand

 

Un peu d’histoire

 

Les guides de voyage ont évolué quant à leur format, leur support sur papier ou sur le Web, les clientèles auxquelles ils s’adressent, les itinéraires qu’ils proposent, les sites et les bâtiments qu’ils incitent à découvrir. Les intéressés sont invités à consulter un article préparé par Michèle Lefebvre sous le titre « Le guide de voyage au fil du temps » et paru dans le numéro 82 de À rayons ouverts : Chroniques de Bibliothèque et Archives nationales du Québec, p. 19. Mais qu’en est-il des guides plus spécialisés concernant la période de la Nouvelle-France actuellement disponibles. Pour les présenter, nous pouvons dès lors les diviser en deux grandes catégories, d’un côté, ceux qui tiennent à la fois des ancêtres et des villes et villages où ils ont vécu, de l’autre ceux qui se limitent plutôt aux traces matérielles laissées dans le paysage ou bien encore récupérées, mises en valeur et rendues accessibles dans les musées.

 

Des guides qui font place aux ancêtres

 

Ces villes et villages de France,... berceau de l'Amérique Française
Crédit : CFQLMC – Gilles Durand

Dans la première catégorie, nous en retenons deux. Le premier, le tome IV d’une collection de douze, concerne l’une des régions de France, la Bourgogne et Franche-Comté. Gilbert Pilleul, secrétaire général de la Commission franco-québécoise sur les lieux de mémoire communs (CFQLMC) - France, en fait une belle présentation dans le présent bulletin. L’ouvrage est tout à l’honneur des membres de cette régionale de France-Québec. Tous ceux qui ont quitté la mère patrie pour la Nouvelle-France y trouvent place quelque soit leur métier ou leur notoriété. L’ouvrage donne la biographie de personnages qui se sont démarqués et permet de découvrir les points d’intérêt de chacun des lieux d’origine des pionniers : activités économiques passées et présentes, sites et bâtiments patrimoniaux, etc. Pour faciliter une escapade à travers ces localités, le guide trace des itinéraires avec cartes géographiques à l’appui et durée. Bref un compagnon indispensable, tout comme les six autres déjà publiés et cinq autres à venir.

 

Le 2e guide dont nous aimerions signaler l’existence est une base de données sur le site de la Maison Atout France. L’intéressé doit être muni d’une clé pour l’interroger, soit le nom de son ancêtre. La démarche en vaut la peine. Elle lui retourne la localité d’où provient le pionnier, information qu’il peut compléter par des renseignements sur les régions, villes et villages de France – caractéristiques et détails matériels reliés à une visite – disponibles sur le site Atout France . La base de 9 300 noms de pionniers a été préparée par Marcel Fournier qui a revu l’approche mise de l’avant en 1998 sous le titre de « passeport généalogique » et maintenant appelée « carnet généalogique ».

 

 

Quatre guides qui s’en tiennent plutôt aux traces matérielles laissées par les pionniers

 

Cette deuxième catégorie de guide retient plutôt le contexte dans lequel les pionniers ont vécu, paysages, bâtiments, objets utilisés occasionnellement ou dans la vie quotidienne. Nous retenons quatre guides.

 

En concertation avec la CFQLMC, le Département d’études en loisir, tourisme et culture de l’Université du Québec à Trois-Rivières, par l’entremise de Paschale Marcotte, a préparé un itinéraire mémoriel, mis en ligne sur le site Web de la Commission. Le parcours d’une centaine de kilomètres entre Trois-Rivières et Neuville, propose 19 sites d’intérêt patrimonial : sites industriels historiques, lieux de prière et de pèlerinage, bâtiments qui se signalent par l’originalité de leur architecture ou l’importance de leur fonction, tels des églises, moulins, manoirs. Il tire avantage de toutes les potentialités du Web tant pour les cartes géographiques que pour les informations à caractère historique et patrimonial. Il prend appui en effet sur l’inventaire des lieux de mémoire de la Nouvelle-France, une base de données informatique. C’est la base qui donne le pourquoi de la visite à effectuer. Le visiteur peut la consulter avant le départ pour décider où s’arrêter parmi les points d’intérêt proposés, et aussi revenir à la base au retour de la visite pour approfondir les connaissances acquises.

 

Compte tenu de l’intérêt des objets matériels conservés dans les musées, les directeurs des musées montréalais, regroupés dans la Société des directeurs des musées montréalais, ont joint leurs efforts pour proposer un parcours déposé sur le site de la Société et sur celui de la Commission. Le parcours retient douze établissements. Il constitue pour chaque musée des coups de projecteur sur le bâtiment, lorsque pertinent, sur les collections d’objets qui témoignent d’une mémoire partagée de part et d’autre de l’Atlantique. C’est une belle aventure à revivre, non seulement de façon virtuelle, mais aussi sur le terrain par une belle journée d’été.

 

Deux autres initiatives méritent d’être soulignées. Les Éditions La Presse ont publié en 2010 un Parcours de la Nouvelle-France : l’histoire du Québec en visites, préparé par Sébastien Brodeur-Girard avec la collaboration de Claudie Vanasse. L’ouvrage sélectif, d’un format qui peut tenir dans la bourse ou le coffre à gants de l’auto, permet de repérer les principales traces matérielles de la Nouvelle-France dans l’ensemble des régions du Québec. Il constitue un accompagnateur irremplaçable pour repérer des localités porteuses de témoignages : sites d’intérêt, vestiges archéologiques, bâtiments, monuments commémoratifs, musées et centres d’interprétation. Des données pratiques s’ajoutent pour faciliter le suivi des différents itinéraires proposés.

 

Le numéro 125, été 2010, du Magazine du patrimoine au Québec Continuité, p. 11-15, y va également de ses suggestions. La rédactrice en chef, Sophie Marcotte, propose une « escapade sur la route des découvertes », depuis les Îles-de-la-Madeleine jusqu’en Outaouais, en proposant la visite de vingt musées et centres d’interprétation. Plusieurs renferment des témoignages du Régime français quand ils ne rappellent pas eux-mêmes nos origines par le bâtiment qui les abrite. Encore une invitation à une escapade.

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champlain vague